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Front social: les Algériens ont passé un ramadan surréaliste

Le mois de jeûne a débuté par une sévère pénurie d’huile de table et se termine par une tension politique qui menace d’enfler. Les manifestations et les grèves se poursuivent dans un climat délétère pendant que la situation économique du pays va de mal en pis.

Le ramadan a été marqué cette année par de nombreux événements qui pèseront lourdement sur l’évolution de la situation du pays. Car tout porte, en effet, à croire que l’on s’achemine vers un nouveau type de relations entre le pouvoir et la société empreintes de plus de méfiance, de plus de mésentente et peut-être aussi de violence ne serait-ce que sur le plan symbolique.

Durant cette période de jeûne et de privations, le Hirak démontre que son intensité n’est pas près de faiblir et que, au contraire, il veut s’inscrire maintenant dans la durée. De semaine en semaine, le mouvement populaire qui refuse toujours de confier à des individus, aussi consensuels soient-ils, la responsabilité de le représenter, se solidifie en une sorte d’opposition directe où fusionnent toutes les idéologies. Il devient une sorte de superstructure qui fédère sous des mots d’ordre acceptés par ses composantes hétéroclites à l’image d’une lame de fond déterminée à resculpter en profondeur le paysage politique de l’Algérie.

Il est vrai qu’il se radicalise chemin faisant et que ses revendications cassent tous les tabous jusqu’à vouloir en découdre avec des institutions jadis considérées comme la colonne vertébrale de l’Etat. Et même s’il reste pacifique et autoorganisé, il n’en demeure pas moins intraitable, inflexible et chaque jour plus exigeant.

Pendant ce temps, les autorités font comme si elles avaient affaire à un épiphénomène susceptible d’être géré comme un rassemblement de gais lurons sortis d’un stade après un derby local. Tout se passe comme si en haut lieu on attend l’essoufflement puis la reddition sans condition des militants, des activistes et des mécontents sans obédience qui battent le pavé depuis plus de deux ans.

L’establishment vaque dans l’insouciance à ses occupations n’ayant d’yeux et d’oreilles que pour les élections législatives du 12 juin prochain. Il communique avec les acteurs qu’il s’est choisis pour seuls interlocuteurs et accuse les sons de cloche dissonants ou réfractaires à ses décisions de vouloir attenter à la sécurité du pays au profit d’ennemis extérieurs.

Pratiques du passé

Dans l’entremise, ni le Médiateur de la république, ni l’Autorité nationale indépendante des élections (Anie) ne semblent prêter attention au vacarme que font des millions de citoyens contre la perpétuation des pratiques du passé. Les deux institutions chargées, en principe, de promouvoir l’ancrage de la démocratie et de l’Etat de droit ignorent totalement la révolution en marche qui, sous leur fenêtre, fait un tintamarre assourdissant.

Cette indifférence est justifiée par le fait qu’un « nombre total des listes de candidatures a atteint 2 400 dont 1 180 listes de partis et 1 220 listes indépendantes », selon les chiffres annoncés par l’Anie. Elle s’appuie sur l’adhésion de 39 partis au processus, à travers 58 wilayas du territoire, et même à l’étranger puisque 61 formations politiques ont présenté 65 listes de candidatures de ressortissants algériens établis à l’étrangers, toujours selon l’Anie.

Un déni de la réalité qui risque de reporter les problèmes liés à la légitimité du pouvoir en les cachant comme une poussière honteuse sous le tapis. L’effort pour trouver une solution qui satisfasse la majorité est repoussé, sine die, à une autre échéance. Peut-être, l’espère-t-on, les choses reviendront à leur aspect de naguère et la colère s’estompera pour laisser place à la résignation.

Sur le terrain, les indicateurs annoncent que d’autres développements risquent de mettre l’édifice juridique et institutionnel de l’Etat en danger. D’autant plus que la crise économique qui frappe le pays depuis des années -particulièrement cette année- interdit l’attentisme et les tergiversations.

La contestation politique s’exacerbe et se nourrit de l’appauvrissement de la population. Le malaise grandit chaque jour et menace de transformer ce qui était au début un ras-le-bol dû au maintien artificiel d’élites corrompues au sommet de l’Etat en une fronde populaire contre la dégradation du niveau de vie et contre le monstre de la paupérisation.

Un aperçu d’un tel scénario a été déjà esquissé par la grève des postiers qui, au milieu du mois d’avril, avait fait craindre le défaut de paiement des salaires des fonctionnaires. Un virage périlleux a même eu lieu la semaine dernière lorsque les éléments de la Protection civile ont manifesté en tenue pour protester contre la dureté de leurs conditions socioprofessionnelles. La protesta de ce corps vital pour le fonctionnement de l’Etat a été rejetée manu militari et, plus tard, sanctionnée par la révocation de 230 agents.

Cascade de protestations

Dans un autre secteur névralgique, celui de l’Education nationale, les syndicats menacent d’une énième grève. Les enseignants et les travailleurs des établissements publics entendent ainsi faire pression sur leur tutelle pour l’amener à revaloriser leur salaire et leur retraite.

Face à cette cascade de protestations qui aggravent une situation politique déjà tendue, l’Exécutif souffle le chaud et le froid en même temps. Il exprime sa volonté d’ouvrir le dialogue avec ses partenaires sociaux tout en menaçant d’agir avec fermeté contre des parties qu’il ne nomme pas coupables à ses yeux de vouloir déstabiliser le pays. « Une exploitation de l’activité syndicale par certains mouvements subversifs visant à semer la fitna, a été récemment relevée, des mouvements qui avaient été identifiés par le passé et leurs plans dénoncés », prévient-il.

L’accélération des événements et le durcissement soudain du front social augurent d’un été chaud et d’une rentrée encore plus problématique. L’Algérie semble amorcer un tournant qui soit obligera tous les acteurs à s’asseoir autour d’une table pour sortir le pays de la crise multiforme qui l’affecte soit les encouragera à poursuivre une aventure dont personne ne peut anticiper le dénouement.

Aujourd’hui, ni le pouvoir ni l’opposition populaire qui le conteste ne possèdent le moyen de soutenir longtemps le luxe du raidissement des positions sans faire entrer le pays dans l’inconnu. Pour l’instant, ils se rejettent la balle du pourrissement, s’accusant mutuellement de trahison et d’atteinte aux intérêts supérieurs de la nation. La terminologie est guerrière, le verbe tranchant comme la lame du couteau, les protagonistes ne montrent aucun signe de vouloir s’entendre sur le minimum pour éviter une descente aux enfers de la discorde et de la désunion.

Mohamed Badaoui

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