L’informel est un mot politiquement correct et expurgé des vices qu’il contient. Dans la vie réelle, on utilise d’autres termes pour désigner les transactions délictueuses qui se passent dans le marché noir et dans les circuits de la corruption.
La « Tchippa » (la dime, le bakchich) », « el paye » ( la part), « techri ettrik » (acheter la route), « lamana » (la commission), « ettiki » (le ticket), « erroulou » (le rouleau), «echkkara » (le sac) et anciennement « el kahoua » (le café), sont parmi les termes qui cachent la nature de l’argent douteux.
Cette linguistique, qui a fait florès depuis environ trois décennies, constitue une contre-culture qui dévalorise l’effort, le travail, la création de richesse et prône la rapine, l’argent facile et les trafics en tout genre. Elle est le produit de réseaux illégaux, pour ne pas dire mafieux, qui, en se greffant aux marchés publics et aux circuits des distributions, ont amassé une fortune considérable qui, parfois, dynamite l’action des pouvoirs publics.
Cette manne qui échappe au contrôle de l’Etat et fait perdre des sommes astronomiques à la Direction générale des impôts atteint, selon certaines sources, un volume supérieur à 50 milliards de dollars en liquide. Elle participerait à hauteur de 50% du Produit intérieur brut du pays et occuperait près de la moitié de la main d’œuvre. On parle aussi de 200 000 commerces non déclarés et de l’équivalent de dizaines de millions de dollars en devises étrangères en libre circulation sur le marché parallèle.
Libéralisation rapide et sauvage
A ce niveau, il est erroné de parler de secteur informel mais d’un Etat fantomatique qui dispute le contrôle de l’activité économique à l’Etat réel. En contexte de crise économique aigue, cette menace devient un sérieux défi pour la sécurité du pays.
Mais d’où vient cette pratique qui existe, certes, aussi dans les pays les plus développés mais dans des proportions anecdotiques ? Certaines analyses font remonter le développement fulgurant de ce fléau à la libéralisation sauvage et rapide de l’économie algérienne à la suite du Plan d’ajustement structurel imposé à l’Algérie, entre 1994 et 1998, par le Fonds monétaire international en contrepartie du rééchelonnement de sa dette.
Mentalité rentière et administration inefficace
Cependant, une telle tendance aurait été de moindre portée sans l’existence d’une mentalité rentière qui se nourrit de la dépendance aux exportations des hydrocarbures qui forment plus de 95% des recettes extérieures du pays et à l’importation pléthorique des biens et services.
Résultat, l’Algérie qui avait l’ambition, durant les années 1970, de devenir une puissance industrielle ne serait-ce qu’au niveau régional, n’arrive même pas à couvrir 5% de son PIB par ses produits manufacturés.
L’autre couveuse des pathologies liées à l’informel consiste dans une administration lourde, extrêmement bureaucratisée, invalidante pour l’esprit d’entreprise, souvent non éthique et percluse d’agents corrompus. Cette matrice a donné naissance à tous les monstres qui empêchent le développement de l’Algérie, accéléré le gaspillage de ses richesses et provoqué le découragement de toutes les initiatives pouvant la sortir du marasme dans lequel elle vit.
Mohamed Badaoui