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Atteinte à l’environnement : les singes de la Chiffa risquent la soif

La cascade du Ruisseau des singes dans les gorges de la Chiffa (Blida) est à sec. Ses eaux ne coulent plus le long de la montagne vers l’oued à cause de la réalisation du tronçon autoroutier qui passe par la région.

La réalisation du tronçon autoroutier qui relie la Chiffa, dans la wilaya de Blida, et Berouaghia, dans la wilaya de Médéa, a provoqué une catastrophe écologique dont personne ne parle. La cascade qui se déversait du sommet de la montagne pour se jeter dans l’oued s’est tarie pour laisser place à une balafre rocheuse sèche et jonchée de détritus.

La source qui alimentait ce cours d’eau, connu sous le nom du «Ruisseau des singes», ne trouve plus de passage vers le bas depuis la construction des ouvrages en béton qui sillonnent les hauts des gorges de la Chiffa. Les singes semblent maintenant perturbés par le changement brutal de l’écosystème dans lequel ils ont toujours vécu. Le magot ou macaca sylvanus est le seul de son espèce qui vit à l’état sauvage sur le continent africain. On le retrouve essentiellement dans les montagnes boisées du nord de l’Algérie, du Maroc et sur le rocher de Gibraltar où il a été introduit des siècles plus tôt, devenant ainsi le seul primate d’Europe en liberté. Il a en revanche disparu de Tunisie et risque de subir le même sort ailleurs. Une raison qui a motivé son inscription sur la liste rouge des animaux en voie d’extinction.

Les touristes risquent, eux aussi, de disparaître du Ruisseau des singes. L’assèchement de la cataracte a transformé le petit paradis en un lieu désolé et poussiéreux. Même le minuscule zoo qui s’y trouvait s’est vidé de la plupart de ses locataires probablement par manque de nourriture.

En contrebas, l’auberge qui a accueilli par le passé des personnalités prestigieuses du monde entier paraît triste et sans charme. Parmi elles, le grand écrivain français Guy de Maupassant a décrit le lieu-dit célèbre dans tout le pays et à l’étranger en ces termes : «On entre dans la coupure du mont; on suit la mince rivière, La Chiffa; on s’enfonce dans la gorge étroite, sauvage et boisée. Partout des sources. Les arbres gravissent les parois à pic, s’accrochent partout, semblent monter à l’escalade. Le passage se rétrécit encore. Les rochers droits vous menacent ; le ciel apparaît comme une bande bleue entre les sommets ; puis soudain, dans un brusque détour, une petite auberge se montre à la naissance d’un ravin couvert d’arbres. C’est l’Auberge du Ruisseau des Singes…»

«La faute aux Chinois»

Comment en est-on arrivé à défigurer cet Eden ? «Les Chinois», répondent tous ceux auxquels on pose la question. Bien évidemment, ce ne sont pas les ressortissants de l’Empire du milieu qui sont responsables de la dégradation de la halte bucolique nichée dans le massif tellien. Il s’agit d’une société de travaux publics d’Etat installée en Algérie depuis une quarantaine d’années où elle a décroché tant de marchés : La China state construction engineering corporation Ltd, (la fameuse Cscec).

C’est au début de septembre 1982 que ce groupe qui devient aujourd’hui un géant mondial a entamé sa carrière ici en se chargeant de réaliser un projet de 200 logements à Rouiba (Alger). Le 19 février 1983, le ministère de l’économie et du commerce extérieur de la République populaire de Chine a autorisé la compagnie d’ouvrir son bureau de liaison au pays.

Moins d’une année plus tard, la Cscec a décroché l’offre de l’étude d’implantation de la nouvelle ville de Bouguezoul à Aïn Oussera. A partir de ce moment, et en dépit d’une rude concurrence d’opérateurs européens, le constructeur chinois a reçu demande sur demande pour l’édification de toutes sortes d’équipements et de bâtiments. Durant les années 1990, la Cscec a cessé ses activités en Algérie par crainte du terrorisme qui y sévissait. Elle a entre autres abandonné les travaux d’aménagement hydraulique de la plaine El-Amra El-Abadia pour irriguer 8 000 hectares ainsi que les travaux d’aménagement hydraulique du périmètre de Mitidja Ouest pour irriguer 14 000 hectares. Le premier chantier ne reprendra qu’en février 2002 pour être achevé fin 2005.

Profitant du départ des entrepreneurs européens, la compagnie chinoise a renforcé sa position à partir de 1997 en travaillant dans des zones sécurisées. Elle a ainsi construit en 18 mois seulement l’hôtel Sheraton de Club des pins qui a accueilli le 35e sommet de l’Organisation de l’unité africaine. En parallèle, elle s’est démultipliée pour réaliser un autre complexe hôtelier, réhabiliter le Mazafran d’Alger, construire 400 logements à Mahelma et 370 logements à Mohamadia.

C’est durant les années 2000 que la Cscec a pris son véritable envol et mis main basse sur le marché des Travaux publics algérien, profitant de l’aubaine des plans quinquennaux 2005-2009 et 2010-2014 ainsi que le plan de développement du grand Sud, lancés sous le règne d’Abdelaziz Bouteflika.

Le tronçon autoroutier entre Chiffa et Berrouaghia aux travaux duquel participent également les sociétés algériennes Engoa et Sapta fait partie de ces dépenses d’Etat. Ses travaux ont commencé en 2013 et sa mise en circulation a eu lieu le 20 décembre 2020 après son ouverture par Abdelaziz Djerad.

Courant sur 53 km, il est formé de 57 ouvrages d’art dont deux tunnels de près de 5 kilomètres de long et de très haut pont s’étalant sur 12 km. Il fait partie de l’autoroute Nord-Sud qui doit, en principe, joindre la côte méditerranéenne et le Sahel.

En 2018, l’ex-ministre des Travaux publics et des Transports, Abdelghani Zaalane qui est aujourd’hui en prison avait déclaré que l’artère «servira, de ce fait, non seulement les wilayas de Blida et Médéa, qui deviendront de véritables banlieues pour Alger (40 minutes pour relier Alger à Médéa), mais également toutes les wilayas des Hauts plateaux, à l’instar de Djelfa, Laghouat, et Ghardaïa jusqu’à Tamanrasset».

Toutefois, si à chaque étape elle crée des dégâts comparables à ceux que subit le Ruisseau des singes, le territoire algérien en subira de fâcheuses conséquences.

Mohamed Badaoui

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