Il est 7 heures du mat, une foule compacte de visages désolés cerne les arrêts de bus.
C’est le départ de la machine à remonter le temps. Bus brinquebalants, minibus tanguants, taxis roulant dans des directions opposées à ceux des clients, clandestins en maraude…C’est la ballade des gens « peureux » : peur de rater son bus, son tram, son cours, son travail. Peur de se faire agresser, de se faire piétiner, de se faire insulter, de se faire voler.
C’est aux stations de toutes les galères que ces âmes perdues se rencontrent sans se parler. Dès le lever du jour, l’étrange couleur des réverbères donne aux usagers des transports, un air de fantôme pas du tout propice aux amabilités.
Covid oblige, le métro est encore à l’arrêt ! Le téléphérique aussi.
Ah le téléphérique, quelle trouvaille dont le seul trajet est le raccourci. Un plus dans l’organisation méthodique du désordre.
Le téléphérique de Diar El Kaf ( maisons du ravin en traduction locale ) n’est pas très prisé. Ses usagers trouvent morbide le fait de s’envoyer en l’air pour atterrir presque au cimetière d’El Kettar. Alger voulait jouer aux filles de l’air pour faire oublier, à sa populace, la galère qu’elle se tape pour rejoindre son lieu de travail. C’est raté.
Il est 10 heures, peu de monde a pris le bus, taxi, tram…Prologues sans épilogues dans une pagaille organisée. Et quand les plus chanceux arrivent à leur boulot, ils somnolent déjà dans les méandres de leurs synapses fatiguées. Paupières flapies, bordereaux bâclés, travail mal ficelé…Le boulot trinque à cause d’un mode de transport presque biblique, les chameaux en moins.
On promet chaque fois d’organiser cette jungle des transports, avec de vraies stations fixes de taxis. Des bus à l’heure. Mais rien, walou. Le peuple boit la tasse chaque matin. C’est un fantôme fatigué, errant dans la jungle des transports. Il chante chaque matin son blues dans les arrêts de bus. De la rue des Fusillés à Diar el Kaf : le nom horrible de ces 2 stations rajoute du spleen au spleen.