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De la Guerre Comme un Business

Par Anouar El Andaloussi

La guerre Russo-ukrainienne occupe la scène médiatique avec tous ses supports et ses
formats comme aucun autre événement ne l’a fait durant ces dernières années. Le nombre
d’articles de presse, de revues scientifiques, et de plateaux de télévisions ou des plateformes
internet est phénoménal. Bien entendu, la géopolitique a eu la part de lion, suivie par les
questions économiques, soit en termes d’impacts sur les deux pays en conflits ou en termes
de conséquences sur l’économie et les échanges mondiaux. Derrière la guerre proprement
dite s’est greffée une guerre économique et s’est superposée une guerre de l’information,
qui est l’instrument principal de manipulation de l’opinion publique. De nouvelles disciplines
qui étaient en déficit de reconnaissance académique ont émergé de manière spectaculaire
et affiche de grandes ambitions face aux disciplines traditionnelles. Ainsi, l’intelligence
économique, la veille stratégique, la géopolitique. Les « spécialistes » de ces nouvelles
disciplines sont très écoutés et même très respectés. Les publications aussi renouvellent leur
démarche et leurs approches de problèmes.
Après la culture et les arts (théâtre, Musées, cinéma, musique, …) et les sports, c’est
maintenant la guerre qui devient un objet économique et un business.
La publication « Cahiers de la Guerre Economique » éditée par l’Ecole de Guerre
économique de Paris a consacré un dossier spécial en Août 2022 sur le sujet « comprendre la
Guerre de l’information », avec une référence explicite au conflit Russo-ukrainien. Selon
cette publication, « La guerre de l’information occupe désormais un espace croissant dans les
champs immatériels pour reprendre la terminologie militaire ». Le dossier central de ce numéro 7 des
cahiers de la guerre économique traite plus particulièrement de la guerre de l’information par le
contenu.
Paradoxalement, les approches appliquées par les entreprises dans le domaine de la concurrence et la
compétitivité sur les marchés sont devenues d’un grand secours pour l’analyse des conflits régionaux
ou mondiaux. Nous sommes passés des approches purement de type sciences politiques à des
approches plutôt de type management stratégique. La guerre est ainsi pensée, conduite et financée
comme un business, avec une forte dimension de calcul « Coût-avantage ». La guerre devient une
activité comme une autre, l’essentiel est qu’elle soit rentable (économiquement, politiquement,
socialement…) à court, moyen ou long terme. Jusqu’à une période relativement récente, la
vulnérabilité informationnelle des entreprises était un thème peu pris en considération par les
directions générales des grands groupes. Le monde patronal a fait une exception en accordant une
attention particulière au risque de management de l’information en situation conflictuelle. Les
menaces informationnelles liées à la compétition proprement dite ont progressivement été prises en
compte lorsque les attaques ont porté atteinte à l’image de l’entreprise et celle de ses dirigeants.
Aujourd’hui nous sommes dans cette situation, où l’information est l’enjeu principal dans les conflits.
On peut même utiliser des approches comme le SWOT pour expliquer, analyser, ou projeter une
guerre.
La publication citée plus haut annonce que « La guerre en Ukraine a au moins un mérite, celui de
nous rappeler le lien ténu entre le conflit militaire proprement dit et la guerre économique qui en
découle ». Autrement dit, que rapporte la guerre à celui qui la déclare ou la souhaite, la conduit et la
finance ?

L’OTAN est un instrument entre les mains des pays occidentaux pour détruire des installations
économiques, dominer des territoires, accaparer des ressources naturelles. L’embargo est l’autre
instrument pour affaiblir l’adversaire dans l’absolu, mais si ce dernier représente un intérêt
économique pour l’adversaire, il ne sera jamais sanctionné. L’embargo imposé à la Russie procède de
ce calcul économique. L’embargo imposé à l’Iran et à la Russie n’aurait jamais eu lieu si ces pays
avaient un intérêt économique stratégique pour les pays occidentaux, excepté l’Allemagne. Les IDE
occidentaux dans ces pays sont relativement faibles, contrairement à la Chine, le Brésil, l’Indonésie,
ou l’Arabie saoudite, ou l’EAU, …où les intérêts occidentaux sont plus importants et par conséquent
on ne leur impose, en aucun cas, une guerre ou même un embargo. Pour éviter la guerre, il faut
encourager la présence économique des puissances sur le territoire. Le capital est la seule valeur
sûre du monde occidental. Il ne s’agit de l’accumulation du capital, comme c’était le cas dans la
période de colonisation des pays du Sud, mais de sa valorisation par le marché. La violence n’a pas
changé, seuls les moyens ont évolués. A terme, chaque pays, pour se défendre, doit avoir sur son
territoire des capitaux des pays puissants, pour d’abord se protéger de ces pays mêmes et ensuite
avoir la protection des autres pays. La course à l’accueil des IDE procède aussi de ces objectifs.
Observer l’attitude de l’Allemagne, relativement en retrait, dans l’application des sanctions
économiques à la Russie, parce que ce dernier est le pays qui le plus d’intérêts économiques avec la
Russie (échanges commerciaux et Investissements). Les américains sont les moins présents dans les
relations économiques avec la Russie ; mais les plus radicaux dans l’application des sanctions et le
financement de la guerre.
Le premier objectif de tout agent économique est donc d’expliquer que les sanctions sont plus
efficaces si elles n’affectent pas leurs intérêts. Via des experts « indépendants », des universitaires,
des think tanks, il sera démontré que les sanctions efficaces sont celles qui portent sur les intérêts
d’une autre filière ou d’un concurrent. L’Allemagne l’a parfaitement intégré en annonçant une
suspension des agréments de Nord Stream 2. Une telle attitude permet de garder un leadership dans
la logique déployée. À l’appui de ce « vrai – faux » sacrifice inévitable, l’Allemagne peut pousser
l’avantage afin de protéger d’autres intérêts. L’Allemagne évite alors un emballement des sanctions
européennes qui sont d’abord préjudiciables à son économie. Le cas du refus, puis de
l’aménagement, des « sanctions swift » est révélateur d’une unanimité politique outre-Rhin pour
faire bloc autour des intérêts du pays.
La part des investissements directs européens en Russie et les échanges commerciaux hors énergie
est faible en volume en comparaison avec d’autres États comme en témoignent les exportations,
importations et balances commerciales respectives des pays membres de l’Union Européenne avec la
Russie. L’économie russe est peu en compétition avec des intérêts européens en dehors des
frontières de la Russie. Les dirigeants russes ont donc tenté de diviser les Européens entre eux. La
meilleure façon d’atteindre les Européens est de porter préjudice à certains pans de l’économie
européenne en Russie, idem pour les États-Unis, de placer la Chine en situation de partenaire
privilégié. J. Sapir, économiste français et membre étranger de l’Académie des sciences russes,
déclare « que les sanctions économiques contre la Russie sont utiles (c’est la seule réponse à la
disposition des Occidentaux) mais il considère qu’elles vont trop loin et qu’elles agissent « en roue
libre », notamment celles qui frappent la banque centrale russe. Ce qui permet à Moscou de les
interpréter comme un cas de guerre économique. » Où tous les coups sont permis, matières
premières, énergies, technologies, monnaies.
Certes, il ne faut jamais rien négliger mais ces enjeux russes pèsent moins que la bataille que se
livrent les Européens entre eux ainsi qu’avec les États-Unis sur les conséquences de cette guerre.
Moscou a probablement négligé la réaction européenne, laquelle est restée soudée dans ses valeurs

face à l’intensité de l’attaque. Mais qui décide des restrictions d’échanges économiques avec la
Russie ? Des arbitrages qui font l’objet de discussions et de décisions aux États Unis, dans l’Union
européenne et entre Américains et Européens. Aux États-Unis comme dans l’UE, des lobbyistes
travaillent ces sujets pour convaincre des décideurs.
Si la guerre, avec toutes ses conséquences, devient un business, alors l’humanité a perdu son sens et
la « civilisation » n’a plus sa raison d’être, elle rejoint le monde animal.

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