Bien que les chiffres soient en baisse depuis l’an 2000, ce phénomène de santé publique qui touche de nombreux jeunes constitue encore une zone grise difficile à étudier.
Hier, aux alentours de 15 heures, un jeune dans la vingtaine a escaladé un candélabre de la rue Abbane Ramdane et a menacé de se jeter dans le vide d’une hauteur d’environ quatre mètres. Très vite, une foule s’est agglutinée en bas du poteau pour le dissuader de passer à l’acte.
La cause de sa tentative de suicide paraît triviale. Il réclamait en criant le nom d’un certain Hicham qui ne se trouvait pas sur les lieux de lui rendre un billet de 500 dinars qu’il lui aurait subtilisé. Tous ceux qui assistaient à la scène ont alors mis la main à la poche pour lui proposer des sommes beaucoup plus importantes, mais en vain. Les enchères humanitaires sont vite montées. Un homme a même proposé 20 mille dinars au suicidaire pour qu’il consente de descendre du dangereux promontoire. Celui-ci a exigé, cependant, le retour de son propre billet qu’il a juré reconnaître entre mille. Il en faisait une question d’honneur.
Les tractations ont duré plus d’une demi-heure, mais en vain. Le jeune s’obstinait. Même l’arrivée des pompiers et des policiers n’a pas réussi à désamorcer sa détermination. Deux longues heures sont passées, pendant lesquels des agents en civil ont négocié avec le desperado pour que ce dernier accepte de revenir à terre.
Il était visiblement sous l’effet de psychotropes et sujet à une profonde désespérance. Son cas renseigne sur la situation que vit une partie de la jeunesse algérienne qui est, de plus en plus, en proie à l’autodestruction. Le malheureux semblait mû par le même élan extrême que ses congénères qui donnent tout ce qu’ils possèdent à des passeurs pour regagner la rive nord de la Méditerranée au péril de leur vie. D’autres préfèrent, eux, se noyer dans les barbituriques et les drogues de synthèse qui sont une autre manière de se suicider.
La société algérienne devient impitoyable avec les faibles et les perdants, c’est pourquoi ces derniers ont de plus en plus recours à la violence contre eux-mêmes et contre qui posent sur eux un regard réprobateur.
Paradoxalement, le suicide a considérablement reculé en Algérie depuis l’an 2000 où le taux de mortalité lié à ces actes était de 4,5 pour 100 mille habitants, selon des estimations de la Banque mondiale. En 2019, le chiffre a baissé de moitié pour atteindre 2,5 décès pour 100 mille habitants.
Les statistiques officielles pour l’évaluation du phénomène semblent taboues ou, du moins, confidentielles puisque aucune source en Algérie ne donne une mesure qui permette de connaître l’ampleur de ce problème de santé publique.
Dans article intitulé «le suicide : un problème de santé publique», publié en 2012, le professeur Ziri Abbès a fait part de la difficulté d’étudier la question. Il a, néanmoins, décrit le déroulement du processus.
La première phase, écrit-il, est marquée par l’apparition des idées suicidaires où le suicide est envisagé comme l’une des solutions possibles pour faire face à la souffrance, rumination de l’idée suicidaire correspondant au sentiment de ne plus avoir de solution puis c’est la cristallisation et la planification d’un scénario suicidaire ; à ce stade, la décision est prise et le scénario s’élabore».
Le deuxième palier se caractérise, selon lui, par un «passage à l’acte qui est fréquemment lié à un événement déclencheur qui peut paraître anodin ou, au contraire, très grave».Enfin, «lorsque l’individu survit à son geste suicidaire, soit la crise se résout, et un réaménagement physique s’opère, soit au contraire une nouvelle crise se constitue annonçant une éventuelle récidive. Ce phénomène qui constitue aujourd’hui un sérieux problème qui inquiète de plus en plus les spécialistes qui tentent de nouvelles approches pour une meilleure compréhension de cette forme de violence complexe». Ziri explique que la complexité du suicide réside dans la multiplicité de facteurs de risques liés à une pathologie psychiatrique aiguë ou chronique. Il cite ainsi «les états dépressifs majeurs où le risque suicidaire est plus grand, surtout dans les formes avec des idées d’auto-accusations ou dans les formes anxieuses». Il intègre également à la liste, les psychoses, en particulier la schizophrénie qui provoque dans sa phase initiale des bouffées délirantes aiguës et, plus tard, des hallucinations auditives et un automatisme mental.
Quoi qu’il en soit, le sujet est sérieux. Il risque de gagner en ampleur s’il n’est pas attaqué de front comme une urgence sanitaire nationale.
Mourad Fergad