Le chardonneret (meknine pour les Algériens) est un petit oiseau au chant élégant. Il fait l’objet d’un véritable culte au pays ce qui lui vaut d’être parfois vendu à prix d’or. Chanté par El Ankis, son ramage si tendre le condamne au braconnage puis à la cage à vie.
Farid est un mordu de chardonneret. Il a établi, depuis son jeune âge, un lien fusionnel avec ce passereau à tel point que, dès son retour à la maison, il sort sa cage, pose sur une voiture garée dans la rue et passe des heures en sa compagnie.
« Je suis heureux et fier, dit-il, lorsque j’entends mon meknine chanter. Je sais que les gens me jalousent. Certains m’ont offert 200 mille dinars pour le vendre mais j’ai refusé. J’en ai vendu d’autres mais, celui-là, non. Il a presque trois ans. Je vais le garder jusqu’à la fin ».
Le grand interprète du chaâbi algérois avait composé une célèbre complainte en hommage au meknine dans laquelle il décrit l’ambivalence de ses amoureux sadiques qui, épris par sa grâce, l’enferment à perpétuité. « Ô beau chardonneret/ Toi, qui as les ailes jaunes/Les joues rouges/ Les yeux noirs/ Cela fait longtemps que tu vis, triste, dans ta cage/ Tu chantes avec une voix tendre/ Mais qui connaît vraiment ton chant ? (…) / Je me souviens du jour quand tu étais libre/ Tu voletais dans l’air et nidifiais dans les arbres/ Mais Dieu a voulu que tu te fasses capturer par les ailes/ C’était écrit sur le front, ô beau chardonneret (…) »
Un chardonneret vit quelque six ans dans la nature et environ douze en captivité. Farid n’arrive pas vraiment à expliquer l’amour qu’il lui porte. Il dit l’admirer autant pour ses qualités vocales complexes que pour son caractère. Il décrit ses performances comme d’autres jugent celles de Maria Callas, de Luciano Pavarotti ou d’Ella Fitzgerald. « Lorsqu’il démarre, il fait taire tous les autres ».
Le chant des chardonnerets élégants est effectivement riche en intonations et en variations. Les plus doués peuvent produire une multitude de sonorités et d’expressions, notamment les « sticlitt » et les « didelitt ». Les doux « eh-i » et les mitrailles de sons aigus traduisent son angoisse et le « grrrr » guttural son agressivité pour, en autres, éloigner un potentiel rival en période d’accouplement.
« Tiwatwati » et « galoupi »
En Algérie, il existe de véritables spécialistes de ce langage qu’ils reproduisent avec des consonnes et des voyelles humaines. Le « tiwatwati », le « galoupi » et d’autres termes leur permettent de savoir même, d’oreille, l’origine géographique de l’animal.
Les connaisseurs sont aussi ceux qui participent à l’extinction de l’espèce dont ils font, pour certains, un juteux commerce. « J’en ai vendu un à 600 mille dinars, il y a quelques années » annonce fièrement Hacène. « C’était un orchestre à lui seul ».
Le petit être qui mesure environ 15 centimètres, pèse entre 14 à 18 g peut coûter autant qu’une voiture d’occasion. Cette valeur lucrative explique le braconnage dont il fait l’objet en dépit de l’interdiction de sa chasse et des sévères sanctions que risquent les contrevenants à la réglementation.
A El Harrach, le marché d’oiseaux regroupe des centaines de marchands et d’acheteurs. Le chardonneret y est célébré comme le prince des cieux. Les bons chanteurs et les bons reproducteurs peuvent atteindre des prix faramineux.
Piégé à la glu et, depuis peu, à l’aide de larges filets qui ne lui laissent que peu de chances de s’échapper, il colonise de moins en moins les forêts, les vergers, les parcs, les jardins et les autres milieux cultivés. C’est plutôt dans de petites cages accrochées aux murs des maisons ou des magasins qu’on peut entendre aujourd’hui son inimitable gazouillis.
Les autorités ont procédé à maintes reprises à des lâchers de chardonnerets pour réintroduire le passereau dans le paysage du pays. La loi prévoit également des sanctions qui peuvent aller à l’emprisonnement des braconniers et des trafiquants mais aucune mesure ne semble les dissuader.
En Europe, la chasse des oiseaux à la glu a été interdite pour protéger la biodiversité. La France qui demeure le dernier pays du continent à autoriser cette méthode a été récemment sommée par la Cour de justice de l’Union européenne d’en interdire la pratique.
« Un Etat membre ne peut pas autoriser une méthode de capture d’oiseaux entraînant des prises accessoires dès lors qu’elles sont susceptibles de causer aux espèces concernées des dommages autres que négligeables », a jugé la Cour. Cet arrêt a aussitôt été salué par la Ligue de la Protection des oiseaux comme « une grande victoire ».
En Algérie, les protecteurs des animaux n’élèvent jamais la voix contre le massacre de la faune sauvage du pays alors que beaucoup d’espèces animales, notamment le chardonneret, sont en voie d’extinction. C’est vrai que, comme disait le Mahatma Ghandi, « on reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses animaux ».
Mohamed Badaoui