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DÉDOLLARISATION : quelle monnaie pour les BRICS ?

Par Ali Benouari (*)

À l’approche du prochain sommet des BRICS, du 22 au 24 Aout 2023 en Afrique du Sud, les supputations vont bon train sur deux sujets principaux : l’élargissement de cette organisation à de nouveaux membres et l’adoption éventuelle d’une monnaie commune, pour s’affranchir de l’hégémonie du dollar, synonyme d’un ordre international inique, qui s’exerce au détriment des pays du «sud global». Cette courte étude va tenter de caractériser au mieux cette hégémonie et de montrer qu’une riposte de type monétaire est absolument pertinente.
«Le dollar est notre monnaie, mais c’est votre problème !»

Le système monétaire international actuel était régi par les Accords de Bretton-Woods de 1945, jusqu’à ce
que le président américain Richard Nixon décide, en 1971, que le dollar ne serait plus convertible en or, faute pour les États-Unis de posséder des stocks d’or suffisants. Un autre événement est venu renforcer le rôle international du dollar, c’est l’Accord conclu en 1973 entre les ÉtatsUnis et l’Arabie saoudite, en vertu duquel celle-ci n’accepterait que le dollar dans ses ventes de brut et investirait les bénéfices générés dans des bons du Trésor américain. À partir de cette date, le prix du pétrole était universellement libellé en
dollar, renforçant le rôle de cette monnaie comme principale monnaie de paiement et de réserve au monde. C’est de cette manière que les États-Unis ont pu asseoir leur suprématie économique, politique et
militaire à l’échelle mondiale.
Aucun autre pays ne peut s’offrir un tel privilège, faute de réunir les trois conditions suivantes : pouvoir créer des déficits à la hauteur de la demande mondiale en moyens de paiement, pouvoir imposer sa
monnaie aux autres et enfin offrir un marché national qui dispose de la taille et de la profondeur nécessaires pour absorber la monnaie émise. Le marché financier américain offre, à cet égard, la plus
large panoplie possible de produits et d’instruments boursiers, qui garantissent à l’investisseur la liquidité, la sécurité et un rendement satisfaisant.
Dans la gestion de leur monnaie, les États-unis ne sont contraints que par leur intérêt national. C’est ainsi que pour redonner de la compétitivité à leur économie au cours des années 1970, ils ont laissé glisser
le cours du dollar à des niveaux qui ont mis en péril la situation financière de nombreux pays exportateurs de matières premières. Autre illustration : pour lutter contre l’inflation qui sévissait au début des années 1980, la Réserve fédérale américaine n’a pas hésité à hisser son taux d’intérêt de base à un niveau de 20%, avec comme effet la faillite de nombreux pays d’Amérique latine et d’Afrique. Incapables de rembourser leurs dettes, ils ont été acculés à aller au FMI et au rééchelonnement. Ceci vient confirmer ce que disait
cyniquement il y a un demi-siècle, John Connally, secrétaire au Trésor de Richard Nixon. «Le dollar est notre monnaie, mais c’est votre problème».
La problématique des déficits structurels américains Les déficits budgétaires américains sont devenus structurels, atteignant cette année les 1800 milliards de dollars.
Ils sont financés par émission de bons du trésor qui sont souscrits en bonne partie par des investisseurs étrangers, privés et étatiques. Les dépenses militaires comptent pour moitié dans ce déficit (plus de 850 milliards de dollars). Elles servent à entretenir l’influence extérieure des ÉtatsUnis (plus de 800 bases militaires à l’étranger), empêcher toute contestation de leur domination financière et mener des opérations de subversion et de déstabilisation aux quatre coins du monde L’hégémonie financière et militaire des États-Unis s’exerce, ainsi qu’on le voit, par la «weaponization» de leur monnaie. Les BRICS ont ainsi raison de vouloir briser la logique absurde qui consiste à financer eux-mêmes une monnaie qui détruit leurs économies et attente à leur souveraineté.
Ils sont convaincus qu’il est illusoire de penser que les Américains mettront d’euxmêmes un terme à l’accroissement exponentiel de leurs déficits, dont le cumul atteint déjà les 31 000 milliards de dollars,
soit 123,5% du PIB du pays. Un ratio analogue à celui des pays les plus endettés.
Des déficits qui devraient continuer à gonfler au cours des prochaines années, selon les dernières projections du FMI.
Le rapatriement de l’inflation américaine Cela dit, on constate, depuis quelques années, une monétisation croissante des déficits budgétaires américains pour compenser la désaffection des investisseurs étrangers. Une désaffection provoquée par la crainte de sanctions et de gel des avoirs, à l’instar de ce qui est arrivé à
de nombreux pays. Même la puissante Russie vient d’en faire les frais. L’erreur de trop ? Cette monétisation croissante de la dette américaine vient alimenter à son tour la spirale inflationniste car elle survient dans un contexte marqué par :
Premièrement, la politique protectionniste anti-chinoise qui a démarré sous Donald TRUMP et dont l’effet est de priver l’Amérique des produits chinois bon marché (contrariant ainsi l’accord CarterDen Xiao Ping de 1979, qui ouvrait le marché américain aux produits chinois en contrepartie de l’investissement de la
Chine dans les bons du Trésor américains), En second lieu, par la «pandémie du Covid 19» qui a désorganisé pendant deux ans les chaînes logistiques, En troisième lieu, par la guerre en Ukraine et ses
conséquences : le sabotage des gazoducs Nord Sream et les sanctions anti russes, qui ont renchéri le coût de l’énergie et des produits agricoles. Pour contrer justement une inflation qui atteint des sommets inégalés depuis les années 1980, La Federal Réserve (FED) s’emploie à retirer des liquidités du marché par la vente de divers titres, dont…des bons du Trésor.
Un objectif cependant contrarié par l’obligation où elle se trouve de devoir acheter les bons du Trésor boudés par les étrangers. Le niveau élevé des intérêts vient alourdir, par ailleurs, les intérêts à rembourser par l’État fédéral qui pourraient dépasser, selon les experts, les 5000 milliards de dollars au cours des 10 prochaines années et représenter près de la moitié de l’ensemble des recettes fédérales d’ici 2050.
Deux indices illustrent l’inquiétude actuelle des autorités américaines Le premier est le forcing fait auprès de l’Arabie saoudite pour la convaincre de ne plus facturer son pétrole en yuan chinois ou en autres monnaies, et de continuer à acheter des bons du Trésor. De revenir, en somme, à l’accord de 1973. Le second est la visite que la secrétaire d’État Yellen vient d’effectuer à Pékin, avec pour objectif de persuader les Chinois de reprendre leurs achats de bons du Trésor américains. Là aussi, il y a comme une volonté américaine de revenir aux accords CarterDeng Xiaoping de 1979.
Pour un nouvel ordre monétaire international Pour mettre fin à l’ordre monétaire actuel, un consensus semble se dessiner au niveau d’un nombre croissant d’États autour de la nécessité de mettre fin à l’hégémonie du dollar. D’ores et déjà les BRICS, et d’autres pays qui souhaitent les rejoindre,
ont entrepris de contourner le réseau Swift qui permet aux Américains de tracer et bloquer les mouvements de devises des pays qu’ils veulent sanctionner. Des systèmes alternatifs au Swift sont à un
stade avancé, comme le CIPS chinois.

Les Russes ne sont pas en reste. Les BRICS ont aussi créé, en 2014, une institution qui se pose comme une alternative au FMI et à la Banque mondiale. La Nouvelle Banque de Développement (NBD) au capital de 100 milliards de dollars. En parallèle, l’usage des monnaies nationales se répand. Le rouble, le yuan et la roupie commencent à remplacer le dollar dans le commerce bilatéral et même triangulaire, y compris du pétrole et gaz. Mais le projet dont on parle le plus est sans conteste le projet de création d’une monnaie commune, qui fait l’objet d’intenses débats au sein des BRICS.
(*) Économiste, ancien ministre
algérien du Trésor(1991-1992)

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