A l’instar du monde entier, l’Algérie a célébré hier la journée mondiale de la liberté de la presse. Même si les textes de la république garantissent théoriquement cette activité, dans la réalité les choses sont plus nuancées.
Liberté et presse sont probablement les deux mots que les régimes autoritaires, quelle que soit leur nature, détestent le plus surtout lorsqu’ils sont intimement liés. Le premier exprime un principe philosophique sur lequel de nombreux penseurs se sont penchés sans arriver à définir de manière universelle. Car à chaque époque sa façon d’appréhender la liberté et les garde-fous qui la cernent.
La presse est en revanche un concept récent qui remonte à deux ou trois siècles. Les premiers journaux ont vu le jour bien après l’invention de l’imprimerie par Johannes Gutenberg vers le milieu du 15e siècle. Cette activité était, au départ, destinée à propager sur du papier des ragots, des rumeurs, des diatribes ou parfois rapporter des échos sur telle ou telle réunion mondaine.
Les pouvoirs ont rapidement pris conscience de la puissance de ce moyen de communication et ont cherché très tôt à le contrôler ou, du moins, à en restreindre les effets. Plusieurs cours européennes, notamment en Italie et en France, se sont mises à imposer des autorisations comme préalable à l’édition de ce genre d’écrits.
Ce n’est qu’au 18e siècle que des périodiques dignes de ce nom ont commencé à apparaître sous la forme de gazettes, d’hebdomadaires, de bimensuels ou de mensuels. La censure a automatiquement accompagné la nouvelle activité en vue de circonscrire la liberté des auteurs et ainsi les empêcher d’aborder des sujets qui dérangent les intérêts ou même le confort des puissants.
Il a fallu attendre le 19e siècle pour voir la presse devenir l’industrie que l’on connaît aujourd’hui. Le secteur a bénéficié, à partir du début du 20e siècle, d’autres canaux d’expression avec l’invention de la radio, du cinéma, de la télévision et enfin d’Internet qui a permis l’éclosion des réseaux sociaux.
Evidemment, à chaque étape, les pouvoirs veillent toujours à tenir en laisse la presse ou à l’utiliser à leur profit quand ils ne la transforment pas en outil de propagande en temps de paix comme de guerre. Les journalistes ont certes tenté jusqu’à nos jours à préserver leur liberté pour informer le public avec objectivité et sans travestir la réalité. Cet idéal butte cependant sur un grand nombre de difficultés qui vont de la rétention de l’information, aux poursuites judiciaires, à l’emprisonnement et parfois à la mort.
Lobbies, groupe d’intérêts et mafias
Il n’y a pas que les Etats qu’une presse libre peut déranger. Des lobbies, des groupes d’intérêts, des mafias mais aussi des organisations fanatiques peuvent s’en prendre à elle quand elle met en lumière les menées secrètes qu’ils veulent cacher.
Evoluant dans un contexte sociopolitique, les journalistes doivent à tout moment prendre en considération l’environnement où ils exercent leur métier qui constitue en même temps une source de revenu et un service d’utilité publique.
La manœuvre n’est cependant pas toujours aisée. Vivant de rentrées publicitaires, les médias doivent tenir compte des états d’âme des annonceurs dont ils tirent leurs recettes qui, en principe, n’influent en aucun cas sur leur ligne éditoriale.
Dans la réalité, il existe un principe économique valable en tout temps et lieu : qui paie commande. C’est pourquoi la position de la presse devient de plus en plus intenable. En règle générale, la taille de la manne publicitaire est proportionnelle à la docilité du média. Un organe qui ne respecte pas cette loi du marché est voué à la disparition.
De plus, la majorité des titres de la presse écrite, des chaînes de radio et de télévision ont été achetés par des détenteurs de gros capitaux privés qui les ont transformés en affaires commerciales soumises aux impératifs de la rentabilité. Même les journalistes qui y travaillent sont, dans une large part, issus de milieux privilégiés et possèdent, par conséquent, une vision clivée de la société. Leur recrutement se fait sur la base de leur carnet d’adresse et pas en fonction de leur abnégation à servir le bien public. Les quelques éléments d’extraction populaire qui réussissent à se frayer un chemin vers la profession finissent par changer de fusil d’épaule en côtoyant les riches et les puissants. Bien entendu, cette tendance présente des exceptions mais force est de constater qu’il devient extrêmement difficile de garder sa liberté d’écrire et de penser en même temps que son emploi. Aussi, la frontière entre ce qui relève du journalisme et de ce qui relève de la communication servant les objectifs des groupes de pression s’amincit au fil du temps.
L’Algérie n’échappe pas à cette règle. Sa presse écrite est en partie détenue par des éditeurs privés qui défendent en premier lieu -ce qui est tout à fait normal- leurs intérêts et ceux de leurs soutiens. L’Etat est lui aussi propriétaire de nombreux titres en plus de la seule agence de presse, des seules entreprises de télévision et de radio ainsi que de leurs multiples stations régionales. La création de médias audiovisuels demeure interdite aux particuliers. Les chaînes de télévision « algériennes » privées sont en fait toutes de droit étranger et seulement agréées par les autorités. Ce système est unique au monde mais il a une utilité, celle d’installer une épée de Damoclès au-dessus des rédactions pour qu’elles n’usent pas immodérément de leur liberté.
Représailles et mesures de rétorsion
Il existe également d’autres formes de représailles qui peuvent être appliquée aux récalcitrants même quand ils sont, comme les journaux privés, tout à fait nationaux. L’interdiction de diffusion ou le blocage de sites des journaux électroniques et parfois des pages Facebook et Youtube est une autre mesure de rétorsion en cas de bravade.
La publicité gouvernementale qui ressemble à une subvention déguisée à la presse algérienne peut, elle aussi, agir de moyen de dissuasion pour calmer les ardeurs des rédactions trop téméraires. Même les opérateurs économiques privés qui inondaient de publicité en couleur les journaux, il n’y a pas si longtemps, ont cessé de le faire pour ne pas s’attirer les foudres des autorités s’ils associent leur image de marque à des publications « pestiférées ».
Toute cette ambiance réfrène les ambitions de la corporation et bride leur élan à soulever certaines questions. Le quatrième pouvoir, comme il plaît à certains de l’appeler, est fermement bridé par les trois autre. Dans les textes, la liberté d’expression et, particulièrement, celle d’informer et de s’informer est garantie. Dans la pratique, les choses sont plus nuancées et relatives.
La corporation des journalistes algériens a payé un lourd tribut durant les années 1990. Des dizaines d’entre eux ainsi que des travailleurs du secteur des média ont été assassinés durant cette décennie. D’autres se sont réfugiés à l’étranger pour rester en vie et une autre partie a vécu dans des résidences surveillées à l’instar de l’hôtel El Manar de Sidi Fredj.
Aujourd’hui, au cœur d’une crise politique qui dure depuis deux ans, les journalistes sont obligés de s’autocensurer, d’écrire avec une extrême prudence, pour éviter de tomber sous le coup d’une condamnation. Dans ce cas, les charges peuvent être lourdes et les sanctions sévères. Le climat est donc loin d’être serein même si les responsables assurent que rien n’entrave ni n’enfreint la liberté de la presse et de l’expression.
Mohamed Badaoui