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Par Anouar El Andaloussi : les économistes institutionnalistes à l’honneur à Stockholm

L’attribution du Prix Nobel  d’économie a clôturé la saison 2024 dans les six catégories que discerne l’Académie royale suédoise des sciences. Cinq catégories ont été mentionnées dans le testament d’Alfred Nobel (Paix, Littérature, Chimie, Physique et Médecine-physiologie). Le sixième, le dernier en date, celui de sciences économiques a été introduit par le comité Nobel en 1969 et porte le nom de Prix de sciences économiques de la Banque de Suède en l’honneur à Alfred Nobel. Exceptés les prix de la Paix (Japon) et celui de littérature (Corée), tous les autres (quatre) ont été attribués à des Américains, parfois associés avec d’autres nationalités (anglais, canadien, turc). Encore une fois, la puissance des universités américaines exerce une hégémonie quasi-totale sur la recherche dans tous les domaines des savoirs. Revenons à l’économie, objet de notre chronique. 

Le “Nobel d’économie” de cette année récompense des travaux sur la relation entre institutions et prospérité. Voilà un sujet qui sort des traditionnels sujets de modélisation mathématiques des phénomènes économiques sous des hypothèses de rationalité des comportements et des marchés parfaits. En effet, il récompense trois chercheurs travaillant aux États-Unis, l’Américano-Turc Daron Acemoglu et les Britanno-Américains Simon Johnson et James A. Robinson, “pour leurs études sur la façon dont les institutions sont formées et affectent la prospérité”. « Les lauréats de cette année ont été les pionniers de nouvelles approches, à la fois empiriques et théoriques, qui ont fait progresser de manière significative notre compréhension des inégalités mondiales », a précisé le Président du jury devant la presse présente à Stockholm. Et d’ajouter : “Les sociétés où l’État de droit est médiocre et où les institutions exploitent la population ne génèrent pas de croissance ni de changements positifs”, a t-il insisté.

De son côté, le lauréat D. Acemoglu a déclaré que : « Les régimes autoritaires auront plus de mal à obtenir des résultats durables à long terme en matière d’innovation”.

Les travaux d’Acemoglu (seul ou en collaboration avec l’autre lauréat, Robinson) ont porté sur l’importance des institutions dans le développement économique et il a accordé un intérêt particulier aux droits de propriété (il est resté, sur ce sujet, fidèle à la pensée institutionnaliste comme Coase, North, Williamson, Commons…).  L’apport considérable de D. Coase à la théorie des droits de propriété et son application dans l’analyse des coûts de transactions et des coûts d’agence a révolutionné les approches sur la firme et les marchés. C’est avec ce mouvement dit « institutionnaliste » en économie que la discipline s’est ouverte à d’autres disciplines des sciences sociales comme l’histoire, l’anthropologie ou encore le droit. 

Pourquoi nous nous intéressons à cette attribution du Prix Nobel d’économie de cette année ? La réponse est évidente ; si l’on contextualise ces approches dans les pratiques des politiques de développement dans notre pays, on trouve certainement un intérêt à s’y intéresser. D’abord les institutions (définies comme des règles, des codes, des structures, qui affectent le comportement des agents économiques) ont une importance majeure dans l’élaboration, la conduite et l’évaluation de ces politiques, ensuite leur qualité devient critique lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre des politiques  particulières comme l’innovation, la gestion des risques, les transitions de toutes sortes et encore plus dans le domaine de la régulation et des politiques de la concurrence. Ce sont souvent les institutions qui constituent le facteur distinctif dans la compétition internationale. L’une des institutions les plus importantes dans l’économie moderne, ce sont les droits de propriété. Comment ces droits sont consacrés ? Comment ils sont exercés ? Comment ils peuvent être transmissibles et d’une manière générale comment en faire un usage utile et profitable pour leurs titulaires. Les marchés sont l’autre type d’institutions d’une importante capitale dans une économie, particulièrement en matière d’allocation des ressources.

Nous avons consacré plusieurs chroniques à ce sujet des institutions et à leurs faiblesses dans le système économique algérien. Le cas le plus exemplaire dans le domaine des droits de propriété comme institution est celui de l’organisation et de la gestion du secteur public marchand et en particulier la gouvernance des groupes industriels, des Holdings qui sont tous des catégories relevant des EPE (Entreprise Publique Economique) dont le statut et l’exercice des droits de propriété demeurent un obstacle majeur à leur performance. L’économie informelle, fortement présente dans de nombreux domaines (emplois, services, et même dans la production) et elle est aussi régie par des institutions spécifiques très puissantes mais qu’on ne connaît pas ou du moins one ne connaît pas leur fonctionnement, leur enracinement (codes, règles non écrites, arbitrages des différends, formes de solidarité et d’entraide, modes de financement…) D’un côté, notre économie n’est pas dotée des institutions d’une économie moderne (marchés concurrentiels, règles juridiques impersonnelles, autorités de régulation et de contrôle, etc.) et de l’autre, des institutions parallèles existent bel et bien et que nous ignorons par méconnaissance ou par paresse et pourtant celles-ci sont présentes et efficaces selon leur logique. Nous devons nous inspirer des approches de l’économie institutionnelle pour mieux comprendre le fonctionnement des institutions qui existent et pour mettre en place celles qui manquent à une économie moderne. Une dernière question ou même deux : Pourquoi les décideurs ne consultent pas ou pas suffisamment les experts ? Parce que ces derniers ne sont pas compétents ou parce qu’on n’a pas pris conscience des enjeux d’une économie avec des institutions de qualité médiocre ?  Pourquoi les économistes, les historiens, les sociologues, les juristes ne travaillent pas ensemble sur de grands sujets comme le développement économique et social ? Peut-être parce qu’il n’y a plus ces profils dans nos universités ? Ou encore une fois on n’a pas pris conscience de la pertinence des approches pluridisciplinaires dans la compréhension et la résolution des grands problèmes de notre pays ? Voilà pourquoi on a consacré une chronique au sujet du Prix Nobel d’économie 2024.  

A.E.A

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