Il n’est jamais aisé de mettre en œuvre des réformes en période de crise, car les tensions sont fortes, tous les thèmes sont clivant et les positionnements sont souvent conflictuels. Pour répondre à ces différentes problématiques, il faut trancher sur les questions suivantes.
- Consensus social
Premièrement, il faut profiter du consensuspolitique et social qui se dessine sur la nécessité des réformes économiques et structurelles.. Les questions relevant de la démarche, de l’échéancier et surtout des acteurs et des grands arbitrages politiques restent posées. Quelle est la marge de manœuvre dans la mise en œuvre des réformes structurelles sans remettre en cause la cohésion sociale ? Quel est le niveau du coût social supportable et comment le répartir entre toutes les catégories sociales ? Les questions des subventions implicites et explicites, du chômage et de l’inflation seront au cœur de l’équation. A court terme, les consensus seront difficiles voire impossibles à obtenir, tant la confiance est perdue et les anticipations sur l’avenir seront fragiles et coûteuses ; on veut avoir tout et tout de suite, ce qui provoque des conflits sur l’allocation des ressources. Au contraire, à long terme, les tensions seront moins fortes et il sera possible de trouver des compromis par des compensations.
- Compétitivité et justice sociale
La compétitivité de l’économie n’a jamais été une préoccupation des différentes politiques économiques. La rente pétrolière a eu pour effet d’exonérer l’économie de l’impératif de compétitivité qui est à la fois la voie royale de l’amélioration durable du bien-être général et de résilience à la mondialisation. L’environnement institutionnel et réglementaire a inhibé les entreprises publiques et privées recélant de réels potentiels devant conduire l’économie vers de meilleurs niveaux de compétitivité. La productivité, principal déterminant de la compétitivité, est directement liée à la politique salariale, à l’organisation du travail et à l’innovation.
La question de la compétitivité de l’économie nationale est capitale dans la problématique de la diversification de l’économie nationale, condition préalable à la conquête des marchés extérieurs et intérieur.
L’arbitrage stratégique se posera en termes de choix et de préférence. Comment concilier l’intérêt général et l’intérêt privé sur longue période est une autre vraie question.
L’arbitrage de l’Etat par les moyens institutionnels et les deniers publics est une réponse à ces questions. Est-il préférable de subventionner la compétitivité des entreprises ou la consommation des ménages ? Comment traiter le problème des entreprises publiques et de l’emploi ? Quelle est la politique du commerce extérieur ?
Les réponses données jusqu’ici à ces différentes problématiques ne sont pas satisfaisantes. On peut noter qu’on subventionne l’investissement (programme ANDI) mais pas l’exploitation pour améliorer la productivité. On subventionne les consommateurs et les producteurs mais pas la filière ou le secteur, d’où les discriminations multiples (entre public et privé, entre telle ou telle entreprise…). Des facilitations et des subventions sont accordées à tous en ignorant celles et ceux qui font des progrès et/ou investissent dans la compétitivité.
Ces pratiques ont généré des pouvoirs discrétionnaires avec les abus qu’on leur connait, des distorsions sur les prix subventionnés, des subventions directes à certaines entreprises mais pas à d’autres dans le même secteur. Ces pratiques sont de nature à fausser les règles de la concurrence qui sont la base de la construction de la compétitivité.
Les résultats obtenus, suite aux politiques publiques et/ou économiques, mettent en évidence que l’Etat n’a pas de préférences en termes de choix sectoriels favorisant la transformation structurelle. Le système d’incitation, assez égalitariste, a découragé l’investissement dans les secteurs à forte valeur ajoutée au profit des activités à faible valeur ajoutée, de l’importation et de la spéculation. Les critères du taux de valeur ajoutée, du progrès technique, de la recherche et développement, d’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) et de taux d’exportation, largement utilisés par les pays émergents, sont quasiment absents de ces politiques en Algérie. Ce système, incohérent avec les objectifs d’industrialisation et de diversification, aboutit à fragiliser l’économie nationale au lieu de la doter de capacités de résilience.
- Relation Etat et marché
Le troisième arbitrage concernera l’épineuse question de la relation Etat et marché.
Le système de régulation se construit sur la base d’une vision qui préserve l’intérêt général. L’histoire économique récente met en évidence que les Etats ont joué des rôles très importants pour faire parvenir leurs économies et leurs sociétés à des points critiques de développement. Ils n’ont pu jouer ce rôle qu’en s’appuyant sur les entreprises selon des modes de régulation négociés à chaque étape du développement. L’échec de l’économie administrée est patent. Il n’y-a pas non plus de mode de régulation purement marchand. Quels sont les choix à faire entre le tout-marché et le tout État ? Les problématiques sont nombreuses : la question de la tarification publique des biens et services ; la concurrence et la discrimination positive de certains secteurs ; les instruments d’intervention par le budget (soutien des prix ou des revenus ?) et les distorsions dans certains marchés (cas exemplaire du marché du logement (l’accession et location). La régulation par le Budget est très coûteuse financièrement et peu efficace économiquement, car elle peut produire des effets pervers ; celle par le Marché exige des conditions préalables et surtout a un coût social qui peut être élevé, car la vérité des prix dans un système dominé par l’informel et les habitudes rentières de consommation peut conduire à des révoltes sociales.
Les termes de ces équations ne sont pas tous de nature économique, ils renvoient aussi à des considérations politiques, sociales et historiques. Le choix du modèle économique interviendra une fois ces termes débattus et un consensus minimal obtenu. Ce ne sont donc ici que les éléments des différentes équations à résoudre pour s’assurer d’un minimum de succès des réformes.
Anouar Al-Andaloussi