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Fête du travail : que reste-t-il du Premier mai ?

Au fil du temps, le statut du travailleur algérien a changé d’un agent économique adulé et célébré à celui d’un salarié peu payé et soumis à la détérioration régulière de son pouvoir d’achat.

Le jeune qui entame cette année sa vie active, s’il a la chance de trouver un travail, ne sait pas ce que signifiait la journée du 1er mai pour son père et son grand-père. Il aura du mal à croire que dans l’Algérie des années 1970, cette journée était une importante fête nationale où les travailleurs étaient célébrés par un défilé monumental auquel assistaient le président, les membres du gouvernement et tout ce qui faisait la pluie et le beau temps dans la république.

A l’époque, le système était socialiste ou du moins se qualifiait-il comme tel. Il ne jurait que par le développement à travers « l’industrie industrialisante », la « mécanisation de l’agriculture » et la promotion de la classe ouvrière ou « laborieuse », selon le jargon d’alors.

Feu le président Houari Boumediene aimait prendre les bains de foule au milieu des salariés des entreprises publiques ou plutôt nationales, comme on les appelait officiellement. Il se mêlait aussi aux fellahs des domaines autogérés dans le cadre de « la Révolution agraire » et les encensait par des propos populistes.

Le travailleur était honoré, presque adulé, car le pays cherchait de bondir, en un claquement de doigt, du sous-développement hérité de 132 ans de colonisation à une « place de choix dans le concert des nations », comme le ressasse à longueur de journée la propagande du régime.

Les usines étaient achetées clés en main à l’étranger et inaugurées à tour de bras dans des zones industrielles improvisées, souvent au détriment de l’environnement. La main-d’œuvre était recrutée dans toutes les régions du pays et propulsée, en moins de temps pour le dire, du monde de la paysannerie vers celui de la manufacture. Cet effort volontariste s’est fait, cela dit, au prix d’un endettement extérieur excessif, du dépeuplement des campagnes et, donc, de la destruction de siècles d’expérience, de savoir-faire et de culture. L’exode massif organisé par le pouvoir lui-même a considérablement déstabilisé l’équilibre démographique de la population. On a assisté dès lors au surpeuplement de la bande côtière, la seule région verdoyante du territoire, et le déclin de l’intérieur du pays.

Plein emploi

C’était la période du plein emploi où les recrutements se faisaient en fonction d’une politique sociale, non sur la base des critères de productivité et de bonne gestion puisqu’il s’agissait de sortir le plus grand nombre de la misère. L’Etat redistribuait ainsi une partie de la rente pétrolière sans se soucier des résultats économiques tout en rêvant, cependant, de puissance.

A partir de cette vision des choses, les gros propriétaires terriens ont été dépossédés d’une grande partie de leur patrimoine. Leurs domaines ont été ensuite distribués, sous couvert de donations consenties, à des collectifs de paysans sans terre. Des villages agricoles socialistes et confortables ont été, en outre, édifiés dans le cadre d’un chantier qui devait aboutir à la construction de 1000 agglomérations de ce type mais le projet gigantesque n’a pas dépassé quelques dizaines d’îlots d’ailleurs rapidement déviés de leur vocation initiale.

Bref, dans tous les secteurs, l’idée était de mailler le territoire d’infrastructures qui auraient permis de propulser « les prolétaires » en maîtres et possesseurs du pays au détriment des « patrons exploiteurs », des « bourgeois compradores » et des « féodaux », comme la littérature officielle et la presse gouvernementale de l’époque les décrivaient.

L’Algérie projetait de devenir une Union soviétique du Tiers-Monde ou, pour le moins, une République démocratique allemande avant la chute du Mur de Berlin tout en restant à l’intérieur de la morale de l’islam. C’était un modèle hybride à mi-chemin de l’Etat idéal de Médine fondé par le Prophète et du système bolchévique initiée par Vladimir Illich Lénine avec pour mot d’ordre le hadith qui stipulait : « les gens sont égaux comme les dents du peigne ».

Fin de l’odyssée

L’odyssée a duré moins de quinze ans. Un coup de frein brutal lui a été donné dès le début des années 1980 lorsque le successeur de Boumediene, le colonel Chadli Bendjedid est devenu président de la république. Sans remettre en cause sur le plan formel la politique de son prédécesseur, notamment le système du parti unique et la prédominance des « organisations de masse » qui lui servaient de satellites, il a procédé au démantèlement de l’édifice. Il a confié à Abdelhamid Brahimi, son premier ministre, «la restructuration » de l’appareil économique en déboulonnant les grosses sociétés étatiques. La Sonacome spécialisée dans la construction mécanique a volé ainsi en éclat. La Sonipec qui transformait le cuir, la Sonitex qui produisait du textile, la Sonatite versée dans les équipements de télécommunications et d’autres mastodontes ont également connu le même sort. Elles ont été ainsi morcelées et réduites à des portions congrues par rapport à leurs matrices.

Ces conglomérats qui employaient des dizaines de milliers de salariés sont devenus des nains quasi stériles ne vivant que de la charité annuelle du Trésor public. L’ère de la fin du « monopole de l’Etat » a donc sonné au profit de « l’économie de marché».

Celle-ci a débuté par des dépenses somptuaires et d’importation de biens de consommation pour « lutter contre les pénuries » à travers, l’encouragement de la petite contrebande qui a favorisé l’émergence du bazar.

Durant les années 1990, plusieurs unités de production ont été détruites par les attentats terroristes. Le reste a été pratiquement achevé par le Plan d’ajustement structurel imposé à l’Algérie par le FMI en contrepartie du rééchelonnement de sa dette.

La décennie a vu le licenciement de plusieurs dizaines de milliers de travailleurs et l’emprisonnement, souvent injustes, de centaines de managers qui avaient gardé la mentalité socialiste. En ces temps-là, les Algériens avaient plus peur pour leur vie que de la pauvreté qui a fauché la majorité d’entre eux. On ne parlait dès lors plus d’amélioration du pouvoir d’achat mais de « filet social » pour soutenir avec des miettes les plus démunis.

Un peu plus tard, avec le retour progressif de la paix et la prospérité due à la remontée du cours des hydrocarbures, l’Etat sous Bouteflika a préféré favoriser la naissance d’une caste de « capitaines d’industrie » pour servir, disait-on, de locomotive capable de tirer l’économie vers le haut. Les terres auparavant avaient été restituées à certains de leurs propriétaires et on ne parlait plus de domaines autogérés.

La part du gâteau

C’était l’époque où des noms tels que Abdelmoumène Khalifa, Issad Rebrab, Djilali Mehri et d’autres faisaient rêver. Détenteurs de fortunes colossales qui ne cessaient de s’accumuler, ils devaient servir de modèles de réussite en vue de provoquer un effet d’entraînement dans toute la société. Avec l’amélioration des recettes du pays, de nombreux autres candidats, parmi eux les Haddad, Kouninef, Hassani, Ben Amor, Othmani, Tahkout, Baïri, Malek, Sahraoui et consorts, ont prétendu à leur part du gâteau en se servant dans les marchés publics et en finançant leurs deals par les banques publiques.

En peu de temps, ils ont pu constituer une force de frappe financière astronomique sans aider à rendre le pays compétitif sur les marchés internationaux. Ils doivent leur richesse à des connivences dans l’administration et à des relations politiques auxquelles ils servaient souvent de couvertures.

Pendant ce temps, les travailleurs ont vu leur condition matérielle très peu s’améliorer et, même si la journée du 1er mai est toujours chômée et payée, le cœur n’est plus à la fête qui n’est d’ailleurs célébrée que timidement.

Aujourd’hui, le travailleur algérien est parmi les moins payés au monde. Son pouvoir d’achat se détériore d’année en année à cause de la chute du dinar et de l’inflation qu’il induit. Hormis le lait en poudre reconstitué, la baguette de pain et, dans une moindre mesure, l’eau courante, le gaz de ville et l’électricité, subventionné par l’Etat, son salaire ne lui suffit plus pour boucler convenablement la fin du mois.

Le Smig a certes été réévalué ces derniers jours pour atteindre 20 mille dinars, mais ce montant qui équivaut à environ 100 euros couvre à peine quelques nécessités. Aucun algérien même vivant seul ne peut tenir un mois avec si peu. A moins de se nourrir d’expédients, de se priver de téléphone et d’autres besoins liés à la vie moderne.

Il existe certes une législation et des syndicats qui, en principe, défendent ses droits mais la condition du travailleur algérien demeure insatisfaisante aux yeux de la majorité. Témoins, ces grèves parfois sauvages qui éclatent de temps en temps ici et là et qui risquent de se multiplier durant les mois à venir. La crise sanitaire a accentué les inégalités et mis sur la paille des millions de citoyens sans parler du chômage grandissant qui abîme la vie de millions d’autres. Maintenant, le 1er mai a été remplacé par le Hirak dont le combat pour la liberté et la démocratie cache en fait, même s’il ne l’exprime pas franchement, un profond sentiment d’injustice de classe partagé par la majorité des Algériens.

Mohamed Badaoui  

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