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A une semaine des législatives:  le Hirak sous étouffoir pour la troisième fois

Hormis quelques rassemblements sporadiques et éphémères, il n’y a pas eu de marche dans les rues de la capitale à l’occasion du 120e vendredi de contestation. Dans le reste du pays, la Kabylie a certes manifesté mais cela paraît insuffisant pour maintenir la flamme du mouvement.    

Au boulevard Che Guevara sur le front de mer d’Alger, l’ambiance est lourde, mais calme. De part et d’autre de la chaussée, des grappes de policiers sont sur le qui-vive, guettant le moindre mouvement suspect. L’un d’eux lance à un collègue muni d’une radio «alors, il n’y a rien ?» «Rien. Ils ne sont pas sortis», répond son interlocuteur.

Pour le troisième vendredi de suite, le dispositif de sécurité déployé par la Direction générale de la sûreté nationale a totalement étouffé le Hirak de la capitale, le plus important de tous. Des témoignages et des vidéos sur les réseaux sociaux rapportent que des activistes ont tout de même manifesté dans certains quartiers, à El Harrach notamment, mais en nombre très réduit. Il s’agissait de dizaines d’hommes qui ont scandé des slogans à la sortie de la prière hebdomadaire.

D’autres villes ont connu également des rassemblements sporadiques qui ont duré le temps d’une prise de vue qui sera postée sur la toile. C’est la Kabylie, en particulier Tizi Ouzou, qui continue de fournir des milliers de protestataires sans que les forces de l’ordre n’arrivent apparemment à les stopper.

La région qui a toujours manifesté sa fronde vis-à-vis du pouvoir central va de nouveau boycotter les élections législatives du 12 juin et poursuivre la contestation. Sa verve est maintenue grâce à l’existence d’une avant-garde et des revendications identitaires extrêmement mobilisatrices.

Ce particularisme a même conduit à la création d’un mouvement séparatiste, le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK) par Ferhat M’henni, qui considère maintenant les autorités algériennes comme une force d’occupation.

L’autre catégorie de la population caractérisée par un haut degré de cohésion se trouve dans le camp islamiste. Cependant, on est loin du rouleau compresseur du Front islamique du salut (FIS) qui cherchait à prendre possession de l’Etat par la force du nombre et par la radicalité des positions. L’organisation Rachad à laquelle on attribue officiellement le dessein de prendre le pouvoir en se servant du Hirak qu’elle aurait, dit-on en haut lieu, infiltré, se présente comme une formation moderne, démocratique, rationnelle et pacifiste.

Les autorités ont évidemment un autre point de vue sur la question. Elles ont inscrit le MAK et Rachad sur la liste des groupes terroristes et sont déterminées à les combattre comme tels. Il s’agit là d’un changement de stratégie qui reformule profondément la nature du Hirak, faisant de ce mouvement populaire patient mais déterminé une éventuelle menace pour la stabilité du pays.

Cette redistribution des cartes a créé une polarisation semblable à celle qui avait précédé les événements des années 1990. A cette époque, la société s’était scindée entre «réconciliateurs» et «éradicateurs». Les premiers réclamaient la poursuite du processus démocratique indépendamment de l’idéologie des vainqueurs. Les seconds avaient décidé de le suspendre avant d’utiliser la force contre le FIS et ses démembrements.

Aujourd’hui, nous sommes dans une situation inverse. C’est l’Etat qui fait passer, coûte que coûte, des élections pour remettre sur pied les institutions fortement ébranlées par le déclenchement du Hirak le 22 février 2019 et c’est la contestation populaire qui les refuse. Le bon citoyen est, selon la définition officielle, celui qui se rendra aux urnes tandis que le réfractaire sera considéré comme opposé à la construction d’une Algérie nouvelle.

Dahmane, un sexagénaire à la retraite, fait partie des citoyens qui partagent cette classification. «Si on ne participe pas aux élections et qu’on laisse une minorité décider à notre place, elle fera passer facilement ses projets », dit-il. « Et puis le Hirak est devenu n’importe quoi. C’était un mélange de féministes, de berbéristes, de laïques et d’islamistes. Je ne regrette pas son échec ».

Beaucoup plus jeune, Islam exprime un avis qui résume une large tendance dans la société. «En deux ans, le Hirak n’a rien pu faire. Le système est plus fort. Alors, je préfère rester chez moi que d’aller crier dehors pour rien ».

Il est vrai que le caractère hétéroclite de Hirak l’a privé d’une avant-garde capable de mobiliser en tout temps les foules pour déjouer les plans de l’ordre établi. « Personne ne veut payer le prix ou se sacrifier pour l’aboutissement du mouvement », dit Khaled, un juriste. « Dans ce cas, les autorités sauront facilement gérer et éteindre la contestation ». Un bémol posé par Mohamed qui observe la scène politique depuis cinquante ans atténue cependant ce constat : «si la situation économique se dégrade et contraint les pauvres à sortir dans la rue pour réclamer le quignon de pain, le risque d’un dérapage incontrôlé est plus que certain».

Mohamed Badaoui      

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