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110e vendredi du mouvement pour le changement : le Hirak vu d’un balcon

Comment les personnes qui ne se sentent plus concernées par le Hirak passent-elles l’après-midi du vendredi ? Nous avons rencontré huit d’entre elles autour d’un repas qui s’est poursuivi jusqu’à dix-huit heures. Leurs noms ont été changés pour préserver leur intimité.

Salima est cadre dans une administration publique. Pour le week-end, elle a réuni des amis triés sur le volet pour un déjeuner gastronomique afin de fêter aussi l’anniversaire de deux d’entre eux mais sans qu’ils ne soient prévenus.

Elle s’est activée depuis la veille pour préparer le repas somptueux et régler les moindres détails de la rencontre conviviale. Etant une femme extrêmement occupée durant la semaine, donc incapable d’investir des heures et des heures en cuisine, elle a préféré passer commande chez un traiteur pour les grosses pièces et réserver ses efforts à la mise en scène de sa petite réunion qu’elle voulait parfaite. De ce point de vue, c’était un franc succès.

Les hôtes, raffinés et fins gourmets, ont tous apprécié l’ambiance, le service, la vaisselle et surtout les plats. « Si juste on pouvait dire au chauffeur d’hélicoptère, d’aller faire tourner son coucou ailleurs », lâche soudain un des invités provoquant le rire aux éclats tous les présents. Il faisait référence à l’Augusta de la gendarmerie qui, à quelques dizaines de mètres au-dessus d’Alger, surveillait le flux des manifestants.

La marche du 110e vendredi de contestation allait bientôt commencer et les services de sécurité s’apprêtaient à faire face déferlement de la vague venant de Bab El Oued à travers la rue Asselah Hocine, ensuite celle d’El Harrach qui grossit en passant par Kouba ou Hussein-Dey, puis Belcourt avant de rejoindre le centre-ville à travers la rue Hassiba Ben Bouali.

La rue Didouche Mourad et l’esplanade de la Grande poste se remplissent petit à petit à partir de 13 heures 30 mais la foule qui anime les deux lieux désormais symboliques devient compacte avec l’arrivée des renforts de l’est et de l’ouest. Justement, les commensaux de Salima sortent tous au balcon, vers 14 heures 30, en entendant la clameur montant de la rue qui ne cessait de grossir sous le ciel pur d’Alger.

Les amis de Salima font partie de la petite frange francophone, démocrate, laïque, universaliste, mais farouchement nationaliste. Cette catégorie ne se retrouve plus dans l’idéologie répandue parmi les couches populaire ni dans celle prônée par le pouvoir. « C’est les islamistes qui vont finir par rafler la mise », dit Sid-Ali. « La nature a horreur du vide, lui rétorque Mourad. Si on leur laisse le terrain pour rester entre nous, bien sûr qu’ils vont gagner. Il semble bien que des gens du système voudraient bien avoir affaire à eux qu’à un courant démocrate parce qu’ils peuvent facilement les gérer et à travers eux toute la population ».

Suit alors une longue critique du pouvoir et des méthodes de gouvernement en vigueur depuis longtemps en Algérie. L’analyse de Mourad est approuvée par tous. Sauf que Brahim qui n’a jamais participé à un Hirak s’interroge pourquoi les manifestants, comme il l’a vu sur des vidéos, « s’attaquent aux services secrets. Existe-t-il un pays sans services de sécurité ? »

Yasmine, elle, estime que le changement viendra de l’économie. Ancienne manager d’entreprise privée qui a mis la clé sous le paillasson à cause, explique-t-elle, de la bureaucratie, de la corruption de certains agents et de la médiocrité de leurs responsables, affirme néanmoins son optimisme. « Les Européens vont finir, malgré eux, de relancer la zone méditerranéenne pour avoir la paix et résister aux assauts des Américains, des Russes et des Chinois. Les nôtres vont comprendre que la seule issue c’est de laisser les Algériens gagner de l’argent ».

Sid-Ali reprend la parole pour regretter que « les gens n’ont plus de quoi manger. C’est ça qui est grave. Si la situation continue ainsi, on n’est pas à l’abri d’un glissement dangereux ». Karima, médecin, corrobore ses propos. Elle dit que ses patients montrent de plus en plus de signes d’anxiété à cause de la pauvreté. Leurs enfants, selon elle, sont moins bien habillés comparé à ce qu’elle voyait avant.

Les préoccupations s’arrêtent subitement lorsque le gâteau à l’orange et au chocolat arrive. Djaâfar et sa femme Anissa sont totalement surpris. Salima a bien caché son jeu. Son coup était une réussite totale. Un « joyeux anniversaire » fuse et pour un instant, la situation politique et économique du pays est mise de côté au profit de la gaieté et de l’évocation des souvenirs « heureux » de leur jeunesse. La nostalgie reprend un instant le dessus pour faire oublier à l’assistance le peu de place qu’il lui reste en Algérie, « entre un système archaïque et inintelligent et une partie de la population qui est de nouveau séduite par le discours islamiste malgré une décennie de destruction », selon les propos de Yasmine.

Mohamed Badaoui

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