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Fathi Gherras (secrétaire national du MDS) : “la solution est d’organiser le Hirak dans une dynamique politique”

Entretien avec Fathi Gherras (secrétaire national du MDS)

 

L’Algérie aura rendez-vous en novembre prochain avec un référendum sur l’amendement de la constitution. Comment appréciez-vous le choix de pour cette date? Et quelle lecture faite-vous de cet événement ?

Fathi Gherras  : Nous, dans le mouvement démocratique et social, considérons le choix de cette date pour la tenue du référendum, comme une provocation aux Algériens. Nous le considérons comme une tentative pour nous empêcher de célébrer le premier novembre, anniversaire du déclenchement de la guerre de libération. C’est une déformation de cette histoire, qui n’est pas nouvelle pour le régime. Voyez ce que le régime a fait au Front de Libération Nationale, le Front de Libération, dont nous acclamons le nom dans l’hymne national :”Front de Libération, Nous vous avons donné un pacte”, ils l’ont transformé en front de corruption et de voleurs, et ils ont amené les Algériens à scander dans la rue : “FLN dégage “.

En ce qui concerne le projet d’amendement de la Constitution, je tiens tout d’abord à souligner que la présidence ne nous a pas envoyé une copie du projet. On ne sait pas pourquoi. Ce n’est pas important. L’important est que nous avons remarqué que depuis le début du hirak, il y a eu une volonté de transformer le débat politique révolutionnaire en questions secondaires, comme la réduction du problème du système à des simples articles dans la constitution.

Il y a de bonnes choses dans la constitution actuelle, comme les droits et les libertés, mais ce sont des choses qui ne sont stipulées que dans le papier, Alors que le système fonctionne en dehors de la constitution. La loi est le cadavre de la politique. Par conséquent, nous pensons que l’accent mis sur la modification de la constitution est un détournement de discussion.

Pour nous, le moment politique n’est d’autre que le mouvement révolutionnaire (El hirak ethawri), et son plafond est la rupture avec le régime et ses pratiques. Le reste relève de la contre-révolution. Nous pensons que la phase de transition est toujours sur la table. Il est vrai que la situation sanitaire que traverse a conduit à calmer la rue. Les Algériens choisiront d’autres méthodes pour poursuivre le hirak.

 

–     Et votre position sur le contenu du projet ?

Fathi Gherras  : nous savons toujours qu’il y a une différence entre les pratiques et ce qui est suggéré. Par exemple, le projet de l’amendement propose que l’accréditation des partis politiques se fait sur la simple annonce de la création du parti. Dans la pratique, c’est une histoire. La réalité est qu’il est impossible d’aller vers une ouverture politique dans l’état actuel des choses.

–     Que pensez-vous de l’article qui permet au président de désigner un vice-président qui peut terminer le mandat présidentiel au cas où le poste deviendrait vacant?

Fathi Gherras  : c’est un coup porté à la souveraineté populaire. Mais, concernant ce point bien précis, on parle comme si le président algérien était élu par la volonté populaire..

Comment analysez-vous les dernières évolutions dans le domaine de la lutte contre la corruption ?

Fathi Gherras  : le système politique est inadapté: 50% de l’économie du pays est hors du cadre de l’Etat, 50% de la masse monétaire hors des banques et une économie basée sur la consommation.

Il n’est pas vrai que l’économie algérienne existe en dehors de l’économie mondiale. Au contraire, nous sommes à l’intérieur de l’économie mondiale. Et à l’intérieur de cette économie mondialisée, on nous a choisi un rôle bien précis, celui de produire des matières premières et en retour nous devenons un marché par le biais du système import-import, ce qui permet de faire sortir des capitaux hors du pays.

Le chevauchement entre l’argent sal et l’État a atteint des niveaux dangereux. Quand on entend qu’un général, pour qu’il échappe à la loi, fuit avec des secrets d’État. Le système ne doit pas être réadapté à la nouvelle situation, car le pouvoir va se retrouver sous la pression et est il sera contraint d’amputer l’un de ses membres, devenu une charge pour elle. Le système politique est toujours basé sur les intérêts et le noyau dur du système n’est pas en harmonie avec les aspirations du peuple.

La corruption n’est pas un phénomène économique mais plutôt politique: les régimes autoritaires poursuivent le clientélisme comme moyen de créer une base sociale pour eux.

Le clientélisme crée les disparités, c’est une méthode politique de gestion de l’État. Ce qui alimente la corruption, c’est la nature du système économique. Il n’est pas possible de combattre le symptôme et de laisser l’origine de la maladie.

 

Le Mouvement démocratique et social est l’un des membres de l’alternative démocratique. Il y a le Front des forces socialistes (FFS) qui envisage de se retirer. Il semble y avoir une incapacité à influencer.

Fathi Gherras  : le Front des forces socialistes (FFS) a récemment tenu son congrès et en a élu une nouvelle direction. Il est tout fait normal que le parti revoie ses positions et sa stratégie. Nous espérons que le FFS ne se retire pas de l’alternative démocratique..

Nous sommes d’accord sur la stratégie, mais le problème principal reste de savoir comment transformer cette stratégie et la concrétiser sur le terrain.

La seule solution pour les partis est d’aller sur le terrain, d’aller vers le peuple. Nous devons admettre que nous sommes en retard dans ce domaine. Nous devons être attentifs et reconnaître que le mouvement populaire était en dehors des organisations politiques et syndicales.

 

-N’est-ce pas cette réalité qui a poussé de nombreuses parties et élites politiques à appeler les gens à retourner dans la rue, dans le seul but se cacher derrière?

 

Fathi Gherras  : au sein du mouvement démocratique et social, nous ne disons pas que la solution est tributaire du retour à la rue. Au contraire, la solution est dans l’organisation du Hirak dans une dynamique politique. La société organisée doit se substituer à la société spontanée par la capacité d’exprimer et de bouger. Nous pensons que la spontanéité a atteint ses limites en matière d’évolution vers une rupture avec l’ancien régime.

Jusqu’à présent, le monde du travail, étant le nerf de la guerre,  n’a pas intégré le Hirak.  Cela ne peut être réalisé que par les travailleurs eux même dans les administrations et les diverses activités économiques en tant qu’organisations syndicales et non en tant qu’individus participant au mouvement dans la rue.

 

– Mais il y a des partis proches du monde ouvrier qui ne sont pas inquiétés de la neutralisation du monde du travail. L’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), par exemple, a neutralisé le monde du travail. Parti des travailleurs, lui même, a gardé le silence.

 

Fathi Gherras  : alors que l’action politique est complètement marginalisée, le syndicalisme, lui, a subi des coups successifs des années 90 à 2018 : l’économie parallèle, le terrorisme, la spéculation et, enfin, le bouteflikisme.

L’expérience des syndicats indépendants est récente et elle n’a pas su s’imposer. Voila qui explique l’éloignement du monde du travail du mouvement citoyen pour le changement (le Hirak), contrairement au rôle joué, par exemple, par l’Union générale des travailleurs tunisiens dans la révolution tunisienne.

L’handicap structurel dont souffre l’économie algérienne est ce qui a éloigné le monde du travail du Hirak. Une économie d’import-import, de la domination du secteur parallèle et de l’absence de l’action syndicale dans le secteur privé. Je crois que le politique est de nature à accélérer le processus vers la «violence révolutionnaire» pour rattraper la distance, et ici les élites doivent agir et jouer leur rôle.

 

-A l’opposé des « forces de l’alternative démocratique », un regroupement d’un certain nombre de partis politiques, de syndicats et d’associations a récemment émergé sous le nom de «Forces nationales pour la réforme». S’agit-il d’une nouvelle polarité genre : opposition – allégeance?

 

Fathi Gherras  : la polarisation en Algérie est une illusion, car la réalité prouve que les partis politiques n’ont pas pu encadrer l’opposition. La preuve est que le pays reste ouvert à la protestation, et vous pouvez compter le grand nombre de manifestations que le pays a connues. C’est pourquoi, je dst qu’il faut réhabiliter l’action politique organisée.

 

– C’est peut-être cette réalité qui a fait dire au président de la République, Abdelmajid Tebboune, qu’il “se trouve plus proche des associations de la société civile que des partis politiques, et préférer travailler avec des associations plutôt qu’avec des partis?”

Fathi Gherras  : au mieux, ce discours est frauduleux, au pire, le président ne comprend pas le sens de la société civile. La société civile signifie la société de citoyenneté indépendante. La société civile dépend de la condition d’être libre de choisir un mode de gestion de ses affaires. Il ne peut y avoir de société civile privilégiée. Ceux qui ont volé et pillé continuent de courir et de s’amuser, et des citoyens pacifiques entrent en prison. Où est cette société civile? Ce sont des clientèles appelées société civile.

Peut-être que l’une des crises clientélistes dans le système Bouteflika qui n’est pas prête à se renouveler, est ce qu’on appelle «l’achat de la paix sociale» en raison de l’effondrement des revenus pétroliers.

Il serait difficile de reproduire cette logique dans la conjoncture économique actuelle.

 

– Il y a ceux qui disent que le président de la République a fait preuve de volonté et d’intention de changer cette situation, et qu’il faut lui donner le temps nécessaire pour y parvenir.

Fathi Gherras  : la politique n’est pas une affaire d’intentions. Cela voudrait dire qu’on ne peut faire une lecture politique à partir des intentions des uns et des autres. De plus, il ne s’agit pas de la personne de Tebboune et de ses intentions ou du gouvernement et de ses intentions. Peut-être que les intentions de changement sont bonnes. Le problème est lié à la logique du système au pouvoir. De Gaulle est un symbole de libération dans le système de gouvernement français, mais il est un symbole du colonialisme dans le cadre du système colonial. Le système actuel reproduira ce qui était auparavant sous Bouteflika, tout comme Bouteflika reproduisit le précédent. On se souvient des discours de Bouteflika au début, comment les Algériens les ont applaudis, et ce qu’il a produit plus tard.

 

–     Comment analysez-vous la position de l’Algérie sur la question de la normalisation des Emirats Arabes Unis avec l’entité d’occupation sioniste? Et la position de certaines élites qui ont tenté de justifier cette normalisation?

Fathi Gherras  : premièrement, il y a un principe qui ne peut être contesté, à savoir que quiconque défend la démocratie ne peut pas défendre le colonialisme en Palestine. Et si quelqu’un le fait, soit il est malade, soit il est hypocrite. Le plus vraisemblable, est qu’il est hypocrite en défendant la démocratie.

La démocratie est une position morale avant d’être une position politique. La démocratie est une croyance en la justice, la liberté et l’être humain. La politique est basée sur la centralité de l’homme.

Par conséquent, nous ne devons pas reproduire l’hypocrisie coloniale occidentale: le sionisme est l’antithèse de la démocratie et des droits de l’homme, et aucune personne honorable au monde ne peut le défendre.

Cela est pour la position de principe. Quant à l’Algérie, nous les Algériens avons une particularité, c’est que nous avons donné naissance à un État, un peuple et une nation à travers une guerre de libération. Puis l’Algérie est devenue le refuge et la destination de tous les révolutionnaires. Par conséquent, défendre le sionisme est une trahison de la révolution de novembre et de l’Algérie en tant qu’entité, car vous ne pouvez pas être avec Didouche Mourad et en même temps avec Netanyahau. De ce point de vue, la Palestine est pour l’Algérie une affaire interne.

De plus, même d’un point de vue pragmatique, invoqué par ceux qui tentent de justifier la normalisation, le soutien de l’Algérie à la Palestine est la carte d’influence la plus importante entre ses mains. Si les États-Unis d’Amérique avaient Hollywood pour influencer le monde, et la France un discours des Lumières et des droits de l’homme, La présence de l’Algérie dans le monde passe par son histoire et ses positions révolutionnaires.

Se tenir aux côtés de la Palestine et du peuple palestinien face à l’occupation israélienne est une valeur ajoutée aux valeurs de la révolution de libération, et La position des autorités algérienne doit être en harmonie avec ces valeurs. Alors, je dis que l’intérêt de l’Algérie ne saurait être dans la normalisation…

Je pense que l’Algérie, ces derniers temps, n’a pas joué son rôle régional, ni le rôle international qu’elle jouait lorsque nous étions avec moins de ressources. Les attitudes sont aujourd’hui modestes.

 

Entretien réalisé par : Mahdi Berrached

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