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Mémoire : quand la France bombardait l’Algérie avec des armes nucléaires

Pour devenir une puissance nucléaire, la France n’a pas hésité à commettre ses essais à l’air libre et en sous-sol en Algérie. Les stigmates de ces explosions sont visibles sur les habitants et sur leur terre jusqu’à aujourd’hui.
Le 13 février 1960 à 07h04, sans trembler, un doigt se posa sur un bouton et déclencha une explosion qui brûla le ciel et la terre du Sahara algérien. Le champignon atomique de l’opération prénommée « Gerboise bleue » était visible sur une circonférence de plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde. Il fut produit par une charge de 70 kilotonnes, quatre fois la puissance de Fat Boy larguée par l’armée américaine sur Hiroshima, le 6 août 1945.
Après six ans d’occupation allemande et sa défaite en 1954 en Indochine, la France, qui était sur le point de perdre sa guerre coloniale en Algérie, voulait montrer ses muscles à la terre entière.
Ce test n’était que le début d’une longue série dont la population et la nature de la région portent jusqu’à nos jours les stigmates. Pas moins de 17 déflagrations nucléaires troublèrent la quiétude de Reggane et les cavités du massif du Hoggar, sur une période qui s’étala au-delà de l’indépendance, jusqu’en février 1967.
La radioactivité du premier essai fut mesurée dans le rapport annuel du Commissariat français à l’énergie atomique (CEA) de 1960, déclassifié du secret-défense en avril 2013. Le document identifia une zone contaminée longue de plus de 150 km, mais le nuage toxique se déplaça en Afrique subsaharienne, en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest. Il a également touché le sud de l’Espagne et de l’Italie.

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Explosions souterraines dans le Hoggar

Suivirent « Gerboise blanche », le 1er avril 1960, « Gerboise rouge », le 27 décembre 1960, « Gerboise verte », le 25 avril 1961. Mais la pollution intenable générée par ces essais contraignit la France à abandonner les expérimentations aériennes au profit d’essais souterrains à In Ikker, dans le massif du Hoggar.
De novembre 1961 à février 1966, treize tirs baptisés Améthyste, Rubis et Jade, tonnèrent dans des galeries creusées horizontalement dans la montagne. Le 1er mai 1962, à la suite de l’incident dit de Béryl, un nuage radioactif s’échappa de la galerie de tir.
Après des années d’expériences, « les deux sites de Reggane et d’In Ekker ont été remis à l’Algérie sans qu’aucune modalité de contrôle et de suivi de la radioactivité n’ait été prévue », reconnaissait, en décembre 1997, un rapport du Sénat français.
La Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN) mentionne, dans un article plus récent, que « dès le début des expérimentations nucléaires, la France a pratiqué une politique d’enfouissement de tous les déchets sous les sables. Tout ce qui était susceptible d’avoir été contaminé par la radioactivité – avions, chars, et tout autre matériel – a donc été enterré ».
Le document accuse l’armée française d’avoir laissé à l’air libre « des matières radioactives (sables vitrifiés, roches et lave contaminées), mettant ainsi en danger les habitants et l’environnement fragile du désert. Selon l’ICAN, la France n’a jamais dévoilé où étaient enterrés ces déchets, ni leur quantité.
Ce n’est que le 5 janvier 2010, sous la pression des victimes des essais nucléaires en Algérie et en Polynésie, que le Parlement français a adopté une loi relative qui reconnaît les accidents dus aux essais nucléaires et promet d’indemniser leurs victimes.
La loi Morin stipule le dédommagement des personnes atteintes de maladies cancéreuses considérées comme radio-induites par les études scientifiques de référence et résultant d’une exposition à des rayonnements ionisants.

Une autorité administrative indépendante, le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), a été mise en place et dotée de la compétence de juger s’il faut attribuer ou non ces compensations.

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Un seul Algérien indemnisé à ce jour

Entre le 5 janvier 2010 et le 31 décembre 2019, 1 598 dossiers ont été ouverts par le CIVEN, selon l’ICAN qui précise que seulement 49 plaintes émanent de ressortissants algériens. Un seul parmi eux a reçu un avis favorable sur 75 victimes civiles et militaires qui avaient séjourné en Algérie, durant la période des essais.
Dans son édition du 21 janvier dernier, le quotidien français Le Monde rapporte le cas de Mohamed Mahmoudi dont le dossier a été ainsi rejeté. A la suite de longues démarches pour réclamer son droit à un dédommagement, ce ressortissant algérien de 50 ans a reçu, en 2013, en guise de réponse, une lettre au ton sec de la part du ministère français de la Défense. « Votre demande, dès lors, ne peut être que rejetée », lui a-t-on notifié.
En 1992, lors de son service national, l’homme a passé neuf mois « à garder un tunnel à Reggane, où la France avait conduit des expériences atmosphériques (1960-1961) avant de mener des essais souterrains à In-Ekker (1961-1966). Le soldat Mahmoudi revint de Reggane atteint d’un certain nombre de pathologies, notamment neurologiques, qu’il attribue à la rémanence radioactive sur place ».
Les autorités françaises lui ont adressé cette fin de non-recevoir car, selon Le Monde, celle-ci ne satisfaisait pas à l’un des trois critères exigés par la loi Morin de 2010 : être atteint d’une pathologie « radio-induite » ; avoir résidé sur un site d’expérimentation nucléaire (Sahara algérien, Polynésie française) ; et ce, durant la période des essais ou immédiatement postérieure (1960-1967 dans le cas algérien)».
Selon les données de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme, 24 000 civils et militaires ont été directement exposés. Mais le secret-défense continue à entourer ce tabou absolu en France.
Certaines révélations fuitent de temps en temps et donnent froid dans le dos. On apprend entre autres que lors du troisième essai atmosphérique, tiré le 27 décembre 1960, que des animaux, notamment des cochons d’Inde, ont été volontairement placés, par centaines, sur le site de l’explosion pour mesurer les effets des radiations atomiques sur des êtres vivants. Certains témoignages soupçonnent aussi les militaires d’avoir également utilisés des cobayes humains, morts ou vivants, qu’ils ont grimé en mannequins soutenus par des barres de fer.
Des informations font état de condamnés à mort disparus après leur transfèrement et avancent l’idée qu’ils ont été mis à la disposition de l’armée. Ces renseignements s’appuient sur le fait qu’aucune trace de leur exécution ou de leur libération n’est mentionnée dans les registres judiciaires.
Les autorités françaises ont évidemment toujours nié ces accusations. En 2007, Jean-François Bureau, le porte-parole du ministère de la Défense, avait déclaré qu’ « il n’y a jamais eu d’exposition délibérée des populations locales », en précisant que « seuls des cadavres ont été utilisés pour évaluer les effets de la bombe. »

 Mohamed Badaoui

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