Le Conseil des ministres qui s’est réuni dimanche a adopté une série de résolutions qui ressemblent à un mini plan de sauvetage. Ces mesures prouvent que, à la veille d’un scrutin crucial, l’Algérie traverse un passage difficile sous la menace de plusieurs incertitudes.
Si on devait résumer le dernier communiqué du Conseil des ministres, le mot « urgence » serait le plus approprié pour en rendre compte. Soumise à d’intenables pressions, internes et externes, l’Algérie fait face à plusieurs problèmes, tous cruciaux, auxquels il faudra trouver rapidement une solution.
La plus pressante de ses difficultés réside dans le rétablissement de la confiance entre gouvernés et gouvernants par la consolidation de la légitimité du pouvoir. L’effondrement catastrophique du règne de Bouteflika et le déballage insoutenable qui a suivi sa chute fracassante ont fini par démoraliser la nation. Des affaires de corruption, un gaspillage généralisé des ressources, la prédation et les privilèges indûment accordés à la clientèle du régime au détriment de la majorité, ont profondément choqué l’opinion.
Il en a résulté un rejet total des dirigeants du pays et une défiance viscérale envers tous ceux qui ont endossé une responsabilité. Ce sentiment s’est traduit par un soulèvement populaire, certes pacifique, mais néanmoins caractérisé par la radicalité des revendications et une certaine forme d’anarchie.
Le slogan « yetnahaw gaa » est l’expression du divorce entre une grande partie du peuple et les élites. Et même si, entre-temps, cette demande a été quelque peu adoucie, elle n’a rien perdu de sa vigueur symbolique.
Le Hirak est loin d’être mort
Le Hirak est loin d’être mort en dépit de la manifestation avortée vendredi par le biais d’un formidable dispositif policier. Ces animateurs sont en train de s’adapter à la situation créée par les nouvelles mesures prises par le ministère de l’Intérieur. Ils resteront certainement mobilisés tant qu’un règlement politique satisfaisant pour l’ensemble de la communauté nationale n’est pas trouvé.
Pour l’instant, l’offre institutionnelle ne semble pas pouvoir tarir les puits de la contestation. Après les présidentielles et le référendum sur la Constitution qui ont enregistré de faibles taux de participation, les élections législatives le 12 juin fourniront-elles l’occasion de calmer les choses ? Une analyse concrète de la scène politique plaide pour la prudence. La tension est encore vive entre les promoteurs de « l’Algérie nouvelle » et les partisans d’une « nouvelle république ». L’éteindre prendra un peu plus d’efforts et de temps.
Evidemment, le rapport de force penche en faveur de la stratégie des autorités qui savent que, dans leur écrasante majorité, les Algériens interdisent à quiconque veut obtenir gain de cause de recourir à la violence. La décennie de destruction qu’ils ont subie et celle qui a détruit les pays du voisinage sous le titre de « printemps arabe » les réconfortent dans ce choix.
Marge de manœuvre malaisée
Les pouvoirs publics ont donc les choses en main grâce à cette alliance objective. Toutefois, leur marge de manœuvre est malaisée. La crise économique qui pèse sur le pays et l’étroitesse de ses perspectives mettraient au défi les plus aguerris des managers. Les recettes de l’Algérie dépendent à 98% du prix du baril de pétrole, aujourd’hui bien bas. Elles ne peuvent, par conséquent, pas garantir un climat social serein. C’est pourquoi Abdelmadjid Tebboune a multiplié les ordres lors du Conseil des ministres pour débloquer la machine à produire et à prospérer.
Il a ainsi instruit le gouvernement de mettre en place dans l’immédiat les « axes du plan d’action relatif au développement de la production d’hydrogène vert ». Il a en outre insisté sur le « lancement du projet de réalisation de 1 000 mégawatts d’énergie solaire durant l’année en cours ».
Le chef de l’Etat a, d’autre part, exhorté son équipe à « entamer l’exploitation effective de la mine de fer de Gar Djebilet, dans les plus brefs délais (…) jusqu’à atteindre les objectifs tracés en matière d’approvisionnement du marché national en acier et d’exportation de ses dérivés pour la prochaine étape ». Il a de même multiplié les directives envers les responsables du secteur industriel pour les inciter à se mettre séance tenante au travail pour diversifier les sources de revenus de l’Etat, notamment par la valorisation du domaine minier.
Il s’agit donc d’investissements lourds qui nécessitent un financement de taille proportionnelle, sauf que les caisses de l’Etat sont actuellement incapables d’honorer de telles ambitions, à moins de solliciter des crédits extérieurs. Or, dès son installation, Tebboune a écarté de manière irrévocable l’endettement.
La plaie du financement de l’économie
Le financement de l’économie est justement l’autre plaie à laquelle le Conseil des ministres a voulu s’attaquer. Il a prévu à cet effet de mettre en place « une batterie de mesures relatives à la prise en charge des incidences de la crise sanitaire, à l’appui du programme de développement dans les zones d’ombre, aux dispositions législatives d’encouragement de la finance islamique et de l’investissement dans des secteurs vitaux ».
En parallèle, et en guise d’option défensive, il a décidé la mise sur pied d’un mécanisme « devant accueillir les fonds et biens détournés et confisqués en vertu de décisions de justice dans le cadre des affaires de lutte contre la corruption ».
L’Etat est, par ailleurs, déterminé à encourager « l’inclusion financière en vue de capter les fonds en circulation dans le marché parallèle, notamment à travers une émission de bons de trésor ». Et pour réduire la dilapidation des ressources financières publiques, le Gouvernement a la charge « de poursuivre l’examen de la méthode adéquate permettant de revoir à la baisse le nombre des fonds spéciaux et les inclure dans le processus ordinaire de gestion des recettes et dépenses de l »Etat avec toute la transparence et l’efficacité requises pour une meilleure maîtrise du budget général de l’Etat ».
C’est donc un mini plan de sauvetage du pays qu’annonce le dernier communiqué du Conseil des ministres mais sans désigner les moyens de le réaliser. Ereinté par la dégradation de leur pouvoir d’achat et du climat anxiogène produit par la pandémie mondiale, les citoyens ont besoin de croire dans les capacités de leur pays à surmonter l’incertitude à un moment où tout inspire les craintes et la morosité.
Mohamed Badaoui