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A la recherche de l’équilibre entre la dureté du béton et la fragilité humaine (Portrait)

Issu d’un couple mythique, Liess Vergès est également un esthète qui réfléchit sans cesse sur son métier pour créer un monde de qualité.

Il est le fils d’un couple de révolutionnaires inimitables, le fruit de l’union de deux icônes de l’histoire récente de l’Algérie : Djamila Bouhired et Jacques Vergès. Les deux personnalités hors normes se sont connues lors de la guerre de libération, elle la combattante de la zone autonome d’Alger emprisonnée ; lui l’avocat anticolonialiste, féru de nobles causes.

Liess vit cette ascendance avec fierté, certes, mais sans en faire une carapace, un blason qui le coupe du reste des mortels. Il a, lui aussi, tracé sa propre voie, forgé sa propre personnalité et sa propre vision des choses. Sans renier l’impressionnant héritage familial, il se permet de soumettre au jugement critique certains aspects de l’engagement de ses illustres géniteurs qui ont vécu une glorieuse épopée mais qui est maintenant révolue par rapport à un monde qui, sans cesse, change.

Conflit de génération ? Non, juste un refus de s’enfermer dans le passé, de vivre de nostalgie et de nier la réalité où la technique a remplacé l’idéologie et où la finance devient le bras armé des empires pour asservir les faibles.

Poursuivre le combat de ses parents, Liess le voit dans l’édification d’un présent et d’un avenir plus beaux. «Ma guerre, c’est bâtir», dit-il. Bâtir ne signifie pas, selon lui, uniquement construire. C’est, estime-t-il, une opération qui réclame savoir-faire, réflexion, recherche d’harmonie et d’esthétique. Un équilibre qui se conçoit d’abord de l’intérieur avant de se projeter vers l’extérieur.

Architecte et urbaniste, il souffre de voir le non-sens, la précipitation et l’accumulation des erreurs sans rectification qui nuisent à l’espace ; un travestissement qui finit par défigurer profondément l’humain qui y habite.

Lire aussi : Liess Vergès, architecte, à La Nation : »Ma guerre, c’est bâtir »

L’architecture n’est pas l’entassement de tonnes de béton jusqu’à former des immeubles qui répondent, certes, à des normes techniques mais qui est dénué du goût de vivre. Il s’agit d’idées élaborées afin de rendre la vie des occupants agréable, bienheureuse.

L’urbanisme, c’est l’occupation intelligente de l’espace où les parcelles sont découpées avec soin dans le cadre d’un plan préalablement étudié. C’est peut-être une évidence, mais en Algérie le dossier du logement fait partie des urgences nationales. Il est soumis à la rapidité d’exécution sur injonction administrative. L’esthétique et l’harmonie des espaces urbains ne font donc pas partie des priorités des responsables. Il faut caser le plus grand nombre de demandeurs de logement et, si possible, au plus vite.

Liess Vergès est dans une approche diamétralement opposée. Il préconise le temps long, la méditation sur comment l’urbanisme peut faire grandir ce qui est noble dans les âmes. A 57 ans, ce natif de Bab El Oued qui a grandi et étudié jusqu’au bac à Alger ; lui qui a passé 12 ans chez ses grands-parents à Zoudj Ayoune, dans la basse Casbah, avant d’aller terminer ses études d’architecture à Paris ne peut avoir qu’une culture cosmopolite. Il est cependant réfractaire au pseudo modernisme et au gigantisme globaliste déshumanisé. Il est pour le réinvestissement local et régional. Est-ce parce qu’il se sent Kasbadji, un fils de la Casbah ? «Oui un peu, mais je n’aime pas trop les représentations. Vrai ou faux Kasbadji, j’appartiens à cette culture de par mes parents et mes grands-parents».

Liess Vergès est avant tout un esthète qui réfléchit son métier et le monde loin de tout manichéisme. Il est dans la recherche de l’équilibre entre la dureté du béton et la fragilité humaine qui l’habite.

Mohamed Badaoui

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