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Transports publics : ces bus hors la loi qui circulent à Alger (Reportage)

Par centaines, ils sillonnent les routes entre le centre-ville de la capitale et sa grande périphérie. Les bus privés, à la manière de taxi-brousses, semblent échapper aux normes et aux contrôles. Ils imposent leur loi aux passagers dont ils mettent souvent la vie en danger.   

Lorsqu’il parle des transporteurs privés qui desservent la grande banlieue d’Alger, Farid affiche un rictus de dégoût mais surtout une expression où se mêlent la stupéfaction et la frayeur. Lui qui habite à Rouiba dit risquer sa vie à chaque fois qu’il monte dans l’un de ces bus pour rejoindre son travail au centre-ville. « Il y a quelque temps, j’étais dans un Isuzu brinquebalant lancé à une vitesse folle. Le chauffeur, dont la lèvre supérieure cachait une grosse boule de chique, semblait ignorer qu’il transportait des êtres humains. Il collait l’arrière d’une voiture qu’il a fini par emboutir violemment. Il est ensuite descendu et, après de longs palabres, il a convaincu sa victime qu’il allait déposer les passagers à la station de Tafourah avant de revenir dresser le constat de l’accident. Je ne sais pas s’il l’a fait. En tout cas, j’ai pour ma part appelé la police pour dénoncer son comportement tout au long du trajet et témoigner que c’était lui le fautif ».

Farid avait assisté auparavant à un drame beaucoup plus grave. Il était cette fois-ci à bord d’un Toyota Coaster qui roulait à tombeau ouvert. « Le car a fini par percuter un vieux qui traversait la route, le tuant sur place. C’est moi qui lui ai lu la chahada (la confession de foi). Il est mort dans mes bras ».

De tels incidents ne sont pas rares. Les transports de voyageurs privés obéissent à peu de règles, y compris à celles du Code de la route. Souvent mal habillés, mal rasés et produisant une attitude agressive, les chauffeurs et les receveurs de ces véhicules d’utilité publique imposent leur loi aux usagers et se moquent de celles de la république.

En pleine pandémie, ils ne portent pas de masque et ne démarrent pas leur engin avant qu’il ne soit rempli à ras-bord. A chaque arrêt, les caissiers mettent du temps à brailler à tue-tête pour rabattre les voyageurs et ne reprennent la route qu’une fois toutes les places sont occupées. Après quoi, ils se lancent dans une course débridée pour arriver les premiers aux stations afin de couper l’herbe sous les pieds de leurs concurrents.

 Une jungle

A les voir, on croirait qu’ils ne sont tenus par aucun engagement de qualité de service, d’impératifs de sécurité et de révision de leurs véhicules. Ils ne possèdent, en outre, aucune formation spécifique qui ouvre droit à cette activité. Ils agissent comme s’ils étaient dans une jungle où la survie (commerciale) est réservée aux plus costauds, aux plus belliqueux.

Les clients n’ont d’autres choix que de se soumettre à ce diktat. Les habitants des quartiers périphériques de la capitale savent que sans ces boîtes à sardines, vieilles, sales, inconfortables et certainement dangereuses pour la circulation routière, ils ne pourront pas se déplacer. D’ailleurs, en hiver, à la tombée de la nuit, le transport des personnes disparaît. Les taxis réguliers ou clandestins prennent le relais mais leurs prix sont nettement plus chers et ils ne desservent pas toutes les destinations. Ceux qui pratiquent « la course » sont, pour leur part, accessibles à une infime minorité ou à ceux qui subissent une urgence.

En dépit de ces dysfonctionnements et des nombreux accidents qui ont impliqué les transports de voyageurs privés, les autorités semblent indifférentes ou résignées. Elles laissent peut-être faire car elles ne veulent pas congestionner davantage la circulation des personnes dans la grande métropole d’Alger.

La ville et les agglomérations qui lui sont attenantes concentrent des millions de personnes. L’Etusa, l’opérateur public, est incapable de prendre en charge cette masse mouvante. Les trains de banlieue qui sont souvent en retard et bondés ne suffisent pas non plus. Le tramway est trop lent, pourvu d’une seule ligne et, lui aussi, souvent surpeuplé.

Le métro, pour sa part, demeure sur cale depuis plus d’un an. Ce moyen de transport qui a soulagé les Algérois depuis son inauguration reste inexplicablement à quai. L’invocation des restrictions sanitaires ne tient pas la route puisque tous les autres transports urbains fonctionnent sans aucune mesure de distanciation. Même en Europe, les métros ont continué de rouler pendant que la population était strictement confinée.

Que se passe-t-il au métro d’Alger ?

Les rumeurs vont bon train à propos des raisons qui maintiennent le métro d’Alger à quai. On dit que le départ des Français qui géraient l’entreprise lui a été fatal et que ses nouveaux administrateurs algériens ainsi que ses techniciens se retrouvent dans l’incapacité de les remplacer efficacement. Toutefois, officiellement, les autorités refusent de donner le feu vert pour la remise en circulation des rames sous le prétexte des précautions adoptées depuis le déclenchement de la pandémie. Que se passe-t-il vraiment au métro d’Alger ? Personne ne le sait.

Nous avons voulu lever le voile sur le mystère, voir s’il y avait d’autres raisons qui justifient cette longue interruption du service, mais les standards de l’entreprise du Métro d’Alger ainsi que celui du ministère du Transport se trouvaient irrémédiablement aux abonnés absents.

Quoi qu’il en soit, la situation ubuesque des transports publics à Alger confère à la métropole un aspect chaotique. Dans toutes les grandes villes du monde, il existe en général une à deux entreprises qui gèrent le flux des passagers. Et même s’ils sont privés, ces opérateurs obéissent à des normes sévères et des contrôles réguliers.

Il suffit de faire un tour au terminus de la station Tafourah pour se rendre compte que ce secteur par où transitent chaque jour des dizaines de milliers de citoyens est laissé au bon vouloir des gros bras qui en tirent profit. Lorsque le citoyen emprunte les vieux Tata, Isuzu, Hyundai et autres SNVI qui desservent la périphérie d’Alger, il se sent automatiquement régresser dans l’échelle sociale jusqu’à accepter de payer sa place mais sans avoir le droit ne serait-ce qu’à un ticket. « A croire que c’est fait exprès », selon le commentaire d’un de leurs habitués.

Mohamed Badaoui

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