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Panique sur le marché : à la recherche du tournesol perdu

L’huile de table est le sujet de conversation dominant dans les discussions ces jours-ci. Sa rareté, pour la marque la moins chère, et son prix élevé pour les produits de bonne qualité ont créé une angoisse dans tout le pays. Le ramadan, c’est dans trois semaines. Comment cuisiner et garnir la table du ftour sans cette matière indispensable ?

Il est 10 heures 30, mais Ahmed, chauffeur de taxi, dit qu’il vient de réussir sa journée. « Ma femme va m’embrasser sur le front quand je rentrerai. J’ai deux bouteilles de deux litres d’huile sans goût dans le coffre. Un ami m’en a ramené. Quelle belle journée ! Ce soir, je ferai le coq à la maison. Je suis le roi ».

Ahmed débite son discours avec rapidité et une pointe d’émotion que celle la fierté procure. Et pour cause ! Il pourra calmer l’angoisse de son épouse qui craignait de manquer d’huile durant le ramadan. « Je ne lui ai encore rien dit. Je lui réserve une sacrée surprise. Ça fait des jours et des nuits qu’elle me tarabuste pour lui trouver sa drogue. Sans huile, elle aurait été totalement handicapée. Avec quatre garçons affamés, après une journée de jeûne, il est dur de garder ses esprits ».

Le client assis près de lui n’a pas encore trouvé le moyen de s’approvisionner. Il sourit, le félicite, mais on sent qu’il le jalouse. Il doit vivre dans la terreur de rester bredouille alors que les plus habiles arrivent à trouver le précieux extrait de tournesol ou de colza. « Où est-ce qu’on peut en acheter », ose-t-il enfin demander. Mais Ahmed, l’envoie paître au loin pour sécuriser le lieu de son fournisseur. « Oh ! C’est un ami qui revenait de Sétif qui m’en a ramené ».

A Sétif, justement, des images qui circulent sur les réseaux sociaux montrent une déferlante humaine sur l’un des plus grands centres commerciaux de la ville où des dizaines d’hommes coudoient, courent, se bousculent, comme lors d’un Black Friday, pour tenter d’arracher un carafon ou deux d’huile de bas de gamme.

« Tout le monde est responsable »

Il est certain que la même bataille risque de se rééditer à l’échelle du pays si des mesures d’urgence ne sont pas prises pour rasséréner les consommateurs. Dans une supérette d’Alger, Hadj, un père de famille dans la quarantaine, se plaint que sa femme lui ait intimé l’ordre de prévoir cinq bidons de 4 litres en prévision du ramadan. Le marchand lui explique qu’il sera très difficile de mettre la main sur une telle quantité. « Ils vont frire une baleine ou quoi », commente un homme dans son dos. « Sa femme a certainement promis à ses parents de les alimenter », suggère un autre. Quoi qu’il en soit, la panique et le sentiment de manque se lisait clairement sur le visage de Hadj. « Je suis en plus à cours d’argent », avoue-t-il. « Je ne sais pas comment je m’en sortirai ».

Pendant ce temps, les autorités, les producteurs, les grossistes, les détaillants, l’Union générale des commerçants et des artisans, la Fédération de l’agroalimentaire se rejettent la balle et les accusations.

Cependant, pour Ahmed le taxi, tout le monde est responsable. « Une canne est tordue en haut et sale par en bas », lâche-t-il avec un profond soupir. « Les gouvernants font n’importe quoi parce qu’ils ne nous calculent pas et dans le peuple les gens se bouffent entre eux. Comment voulez-vous qu’il y ait la baraka ? »

La baraka n’est pas une simple bénédiction tombée du ciel, selon Samir, un intello qui a passé sa vie dans le secteur économique. « C’est aussi la prévision, l’anticipation, la réactivité et l’organisation ? Des valeurs qui sont en déperdition dans ce pays. Je crains qu’il y ait la réédition du scénario vénézuélien jumelé au scénario argentin ».

L’homme fait référence à la crise économique qui a affecté le pays de feu Hugo Chavez après la chute de ses recettes dans le sillage de l’effondrement des cours du pétrole qui constituent plus de 90% de ses exportations. Cette situation a été aggravée par une crise financière et monétaire dont les conséquences ont affecté la sphère politique, sociale, humanitaire et poussé de nombreux citoyens à l’émigration clandestine.

L’inflation et les pénuries ont dès lors éreinté toutes les couches de la population, particulièrement les plus pauvres. Ce climat qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui a, de plus, été amplifié à partir de 2017 par des sanctions économiques américaines qui ont privé le Venezuela d’accéder aux marchés financiers internationaux. L’embargo sur le pétrole a également provoqué une forte baisse de la production pétrolière.

Quant à l’Argentine, dont la crise économique a débuté dès 1998, la descente en enfer de la majorité des habitants a eu lieu en 2001. Cette année-là, le ministre de l’économie Domingo Cavallo avait, entre autres, décidé le plafonnement des retraits bancaires à 250 pesos par semaine pour espérer arrêter la fuite des capitaux vers l’étranger et juguler le manque de liquidités dans le réseau bancaire. Résultat, des millions de personnes se sont retrouvées du jour au lendemain sans le sou, faute de pouvoir disposer de leurs deniers. Pis, le Fonds monétaire international a refusé, le 5 décembre 2001, de transférer 1,26 milliard de dollars à Buenos Aires, sous prétexte que le plan de Cavallo qui prévoyait un « déficit zéro » n’avait pas été mis en œuvre. La conjugaison de tous ces facteurs a créé une onde de choc dont les répliques se font sentir jusqu’à aujourd’hui.

L’Algérie est-elle à l’abri de telles perspectives ? Les plus pessimistes pensent que oui, puisque la structure de l’économie n’a pas changé depuis longtemps et dépend toujours de l’exportation des hydrocarbures. Les plus optimistes croient que les prix du pétrole et du gaz vont bientôt remonter et soulager gouvernants et gouvernés. Ils estiment aussi que le potentiel du pays qui n’est, selon cette vision, entamé que dans une infime partie pourra pourvoir l’économie de ressources inespérées.

Mohamed Badaoui

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