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Ferhat Abbas :  un destin contrarié 

Galerie d’hier et d’aujourd’hui

Par Madjid Khelassi 

 

On a eu beau essayer de cacher le soleil par le tamis, comme le dit un vieil adage bien algérien , on ne pourra jamais ni amoindrir ,ni éternellement falsifier , les parcours , les faits ,et les mérites des enfants d’Algérie.

Le portrait de Ferhat Abbas  maintes fois entrevu avec ceux  Ben khedda , Abane, Ben M’hidi etc, pendant le Hirak,  prouve que nul fleuve ne peut être détourné fut –il par une histoire « officielle » qui charrie en même temps la falsification et le déni .

Ferhat Abbas , comment pourrait-on intituler ça ? La colline oubliée , le monument confisqué ?Le destin contrarié ?

On pourra le faire à loisir, mais on ne pourra jamais comprendre comment un algérien de cette stature , infatigable arpenteur des cols de son pays colonisé, et premier président de la 1ère mouture de   république algérienne(le GPRA) fut tant malmené par les siens . Plus encore que par la redoutable machine coloniale et ses subterfuges civilisateurs. !

Exceptionnel destin de cet homme qui vit le jour le 24 octobre 1899 selon les registres de la commune mixte de Taher. Quelle belle supercherie que les communes mixtes de la France coloniale  Mixité des registres des naissances et négation biblique des autochtones ; le reste de l’appellation  se fracassait dans l’adret de la misère et l’ubac de l’exploitation.

En réalité ; il vit le jour dans une famille paysanne ,  d’un père agriculteur et d’une mère femme au foyer . 12 enfants égayèrent cette famille  . Enfance paysanne, au milieu de ces hères vivant des herbes en hiver et de la galette d’orge en été .Hères transis de misères et de dénuement et chassés de leur terre vers les cimes des monts de Djidjelli. .

Ces  monts accrochés au ras des nuages, comme pour mieux collés au néant d’un quotidien sans espoir, abritaient les damnés de leur propre terre.

Et que Abbas décrit comme une arène où les humains disputaient souvent les restes de nourriture  au chiens et aux chacals . Le dénuement des habitants  de ces massifs montagneux donnaient  à ce coin d’Algérie, une illusion d’éternité de leur sort.

 

Après des études primaires à Djidjelli  ( actuelle Jijel) et secondaires à Philippeville (actuelle Skikda), Ferhat Abbas obtient son bac, et devance l’appel en effectuant son service militaire de 1921 à 1924. Et là, il commence déjà à faire joujou de sa plume, qui s’avérera l’une des plus remarquables de l’histoire de l’Algérie contemporaine.

Etudiant en pharmacie,  il chapeaute l’amicale des étudiants d’Afrique du nord, dont il est président de 1926 à 1931 .Avec sa stature haute , son nez aquilin , Abbas ressemblait plus à un instit qu’a un pharmacien voire un politique redoutable.

Sa plume totalisera en 50 ans,  une série impressionnante d’articles de presse digne d’un Pulitzer à répétition. Il n’eut de cesse de dénoncer les pratiques violentes du génie civilisateur français.

Dans l’index de ses neurones, était notée la ligne de front de ses convictions : la  colonisation  était une saloperie à nulle autre pareille .

Abbas est d’abord favorable à la politique d’assimilation avec un maintien du statut personnel. Et En 1931 , il publie son premier livre qui a trait à la lutte contre la colonisation.

Dans ce livre il est question « d’algérianité »,de convoitises sans fin des colons, de l’état algérien (déjà) ,de cette contrée envahie depuis la nuit des temps.

« Nous sommes chez nous, nous ne pouvons aller ailleurs, c’est cette terre qui a nourri nos ancêtres, c’est elle qui nourrira nos enfants. Libres ou esclaves, elle nous appartient , nous lui appartenons. Celui qui rêve à notre avenir, comme celui des peaux rouges en Amérique, se trompe. Ce sont les arabo-berbères qui ont fixé il y’a 14 siècles son destin. Et ce destin ne peut s’accomplir sans eux. »

Le ton est donné par cet inlassable « forceur » du destin de son pays, qui aura tout essayé dans la voie légaliste. Le code de l’indigénat le marqua à vie et fut quelque chose de terrible pour lui .

La seconde guerre mondiale et le massacre du 8mai 1945, le convainquirent  que le colonialisme n’était qu’une entreprise de domination et d’exploitation.

Peu avant cela , il fut assigné à résidence à In Salah par le général De Gaulle, suite à la publication du «Manifeste  du peule algérien ». Brulot qui fait pour la 1ère  fois allusion à une nation algérienne.

Cherif Saadane et Bachir el Ibrahimi, sont de la partie dans la création des amis du manifeste de la liberté(AML), auxquels se joint Messali el Hadj.

Pharmacien , il n’exerça guère ce métier dénué de toute résonance « politique» et s’attela son sacerdoce : la libération de son pays. Et toute sa vie fut consacrée à ce combat .

Député de Sétif, il comprit que pour imploser un système ,il fallait s’introduire en son sein .En 1946, il perd définitivement toute illusion quant à une Algérie « liée »à la France.

En 1953 , il annonce une rupture définitive des moyens pacifiques .

Novembre 54 embrase l’Algérie, le concert du déclenchement de la révolution  vit arriver une voix nouvelle : celle de Abbas déchiffrant les paraboles de la lutte armée .

Abbas rejoint le FLN en MAI 1955, après concertation avec Abane Ramdane. La suite, on la connait, 1958 , président du GPRA . Et en 1961 , par un jeu de coulisses de mitraille ,Abbas est remplacé par Ben Khedda.

Elu premier président de la 1ère et dernière assemblée nationale constituante, le 25 septembre 1962 , il proclame la naissance de la République Algérienne Démocratique et Populaire.

Il quitte ses fonctions en 1963, à cause de son profond désaccord avec la politique de soviétisation de l’Algérie par Ben Bella, qui l’emprisonne à Adrar la même année.

Sur la route de son lieu d’emprisonnement , pris d’un besoin irrépressible , il voit son «  garde du corps, essayer de le menotter pour cet intermède . Alors il eut ces mots terribles pour le gendarme  qui l’accompagne : « la France ne m’a jamais menotté et là, un de mes enfants le fait » .Le gendarme  qui raconta ça, affirma ne s’être jamais remis de ces paroles.

Il est Libéré , la veille du putsch du 19 juin 1965.

Agé , fatigué , il se retire de la vie politique. Ce qui ne l’empêche pas de dénoncer   le pouvoir personnel de Boumedienne et sa charte de 1976. Rebelote , Boumedienne  , l’assigne à résidence jusqu’en 1978.

Ferhat Abbas meurt dans l’indifférence le 24 décembre 1985, après presque un siècle d’un combat sans fin.

Ferhat Abbas fut un gâchis dans toute sa splendeur. Une homme d’un tel calibre sacrifié sur l’autel de la lutte pour le pouvoir. Un homme qui défia De Gaulle , Soustelle, Guy mollet , Lacoste et tant d’autres.

On imagine la joie des reliques de la 4ème république,  quand Abbas disparut de la scène politique algérienne,  juste au lendemain de l’indépendance. Car qui d’autre que lui, aurait demandé des comptes aux responsables de la tragédie coloniale ?

Son éclectisme était aussi complet dans les domaines concernant la culpabilité coloniale, les aspects sociaux du devenir de son peuple,  que son immense connaissance des problèmes et des mutations qui agitent le monde .

Lui disparu du ciel post- indépendance , la France pouvait dormir sur ses 2 oreilles sans aucune crainte d’être interpelée sur le 8mai 45, sur les enfumades du maréchal Bugeaud , ces crimes contre l’humanité avant l’heure, sur les ratonnades , sur Charronne et sur un siècle plus tôt sur les déportations des algériens à   Cayenne .

Abbas vivant ,on n’aurait jamais vu un président français venir jouer les donneurs de leçon à Constantine.  Le chou « blanc » de Constantine de Sarkozy, ne différa pas en tout cas du

« chou » Plan  de Constantine de De Gaulle. Plan venu trop tard, pour  réparer les dégâts d’un siècle de sombres crimes perpétrés par la France des lumières .

Quand on regarde une photo de Abbas , son regard semble se pencher sur toute la souffrance de son peuple. Le portrait n’a besoin d’aucune légende, d’aucune explication , d’aucun commentaire. On ne peut que se taire, se laisser pénétrer par son expression, et là sentir la tristesse d’un homme qui aima beaucoup son pays.

De la misère criante de son peuple colonisé et l’injustice criarde qui le happait,  Ferhat Abbas poursuivit pendant la longue nuit coloniale un pèlerinage désespéré, qui ne s’arrêta pas à l’indépendance de son pays.

Sa quête d’un pays riche de tous ses enfants, dans une Algérie démocratique et prospère pour tous, s’arrêta un soir de septembre 1963 , sur les débris d’une assemblée constituante mort-née.

La planète entière fait de Mandela le plus vieux prisonnier de l’histoire. Lui au moins fut interné par un Apartheid camé à la couleur de la peau.

Abbas lui , fut emprisonné aussi longtemps( de 1962 à1985, il fut réduit au silence) que Nelson Mandela. Mais lui ,pour la couleur d’une mixture  politique  qu’il ne voulait faire  trinquer à  son peuple.

Abbas Ferhat est mort depuis 25 ans, et par une postérité souvent amnésique , aucune rue d’Alger ne porte son nom tombé dans un oubli fabriqué, jusqu’à ce que le Hirak , cet espoir, né des entrailles de l’injustice et de l’exclusion, vint nous rappeler à son bon souvenir.

Et le Hirak vint…et la longue nuit de l’oubli, a fini par laisser place ,à  l’aube d’un espoir…dessiné par le combat pour la démocratie, d’un certain Ferhat Abbas.

M.K

 

 

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