En disparaissant brutalement, après avoir dirigé pendant trois décennies ce pays clé, Driss Déby risque de compliquer davantage l’équation sécuritaire au Sahel et en Afrique en général.
Il va sans dire que la mort au combat du président tchadien Idriss Déby Itno aura des répercussions sur la région du Sahel dans un premier temps mais, plus tard aussi, sur toute l’Afrique.
L’homme est resté pendant trente ans à la tête d’un pays clé au cœur du continent, à l’intérieur d’une zone explosive où les rivalités entre Etats et à l’intérieur des Etats se règlent souvent à coups de canons. Depuis une décennie, la menace du terrorisme transnational ensanglante régulièrement la région sans oublier aussi l’instabilité en Libye, au Soudan, en République centrafricaine et au nord du Nigéria.
Avec l’aide et la protection de la France dont il est l’allié, le Tchad agissait comme un verrou pour maintenir en respect une noria d’ennemis. D’ailleurs, au regard de l’hostilité qu’il suscitait chez lui et à l’étranger, il peut paraître étonnant que le président défunt ait tenu aussi longtemps au pouvoir.
Déby avait ouvert une multitude de fronts tout en tenant son peuple d’une main de fer. Ses troupes ont intervenu à plusieurs reprises dans des conflits extérieurs notamment au Mali, dans le cadre des opérations menées par la France et par la Minusma mais également au Burkina Faso et au Niger.
Il est clair que l’homme n’était pas un enfant de chœur et qu’il n’hésitait pas à faire parler la poudre à chaque fois qu’un adversaire lui déplaisait. Il compensait la faiblesse du poids de son pays et son enclavement géographique par une politique extérieure offensive qui en faisait un acteur important du continent. Il s’est ainsi forgé une réputation de va-t-en guerre qui a souvent intervenu dans des théâtres embrasés et se donnait les allures d’un homme fort capable d’être un leader africain.
Evidemment, quelle que soit l’appréciation qu’on peut porter sur son règne, le vide que sa mort laissera ouvre la région sur une série d’inconnues et risque de dramatiser davantage la situation sécuritaire au Sahel.
L’Algérie rejette des changements anticonstitutionnels au Tchad
C’est le sens à donner à la réaction de l’Algérie qui a déclaré qu’elle suivait « avec une très grande préoccupation les événements en cours en République du Tchad ». Et vu la dangerosité de ces développements sur l’ensemble de la région, le ministère algérien des Affaires étrangères « appelle tous les fils du Tchad à faire preuve d’un sens de responsabilité et à privilégier le dialogue, seule issue à même de leur permettre de traverser les épreuves actuelles et de préserver la paix et la stabilité dans le pays ». La diplomatie algérienne a en outre exprimé son « rejet des changements anticonstitutionnels » que les nouvelles autorités pourraient adopter pour installer un nouveau président.
Cette position fait référence à la décision du Conseil militaire tchadien de transition (CMT) de garder le pouvoir pendant 18 mois avant de le remettre à un gouvernement civil. Cette longue période a été justifiée par la préparation d’élections « libres et démocratiques », selon le général Djimadoum Tiraïna vice-président du CMT qui a par ailleurs assuré que « les Forces de défense et de sécurité ne cherchent nullement à s’accaparer du pouvoir ».
Cependant, cette profession de foi n’a pas empêché le nouveau collège au pouvoir de décider de la dissolution de l’Assemblée Nationale et du Gouvernement, la fermeture des frontières aériennes et terrestres, et l’instauration du couvre- feu de 18 heures à 5 heures du matin.
En temps normal, une direction politique qui agirait de la sorte serait accusée de putsch mais le CMT a mis en avant la nécessité de garantir la sécurité du pays ainsi que le respect « des traités et accords internationaux et divers engagements pris par le Tchad ».
Il a également réitéré son « engagement sur le front de la lutte contre le terrorisme pour lequel s’est sacrifié le Maréchal du Tchad (le président Idriss Déby Itno) (…). Nous serons présents et actifs, comme à l’accoutumée, aux côtés des pays amis, pour combattre sans relâche l’hydre terroriste et l’obscurantisme ».
Cet empressement à verrouiller le champ politique et le mettre exclusivement aux mains des militaires peut cependant paraître suspect aux yeux de la société civile tchadienne. Les voisins du pays et l’opinion mondiale ne vont pas tarder, eux non plus, à s’exprimer sur le sujet dès que le temps des condoléances sera terminé.
Car il est difficile dans le monde d’aujourd’hui d’accepter une succession filiale à la tête de l’Etat sans que le peuple soit consulté. En effet, selon une Charte de la Transition publiée hier, le général Mahamat Idriss Déby, fils du défunt et chef du CMT occupe désormais les fonctions de président de la république du Tchad. Le nouveau texte rédigé à la hâte a déjà abrogé la Constitution et sera considéré comme loi fondamentale du pays.
Tout se passe donc vite au Tchad, sans réflexion et, peut-être aussi, sans lendemain.
Mourad Fergad
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