Les responsables algériens nous étonnent parfois en publiant des informations sur des performances. L’un d’eux a affirmé que le secteur de l’artisanat a créé des dizaines de milliers d’emplois en l’espace de quelques mois.
Il serait bon de faire défiler dans les rues de la capitale les 84 mille artisans qui ont trouvé selon Kamel Bouam, directeur général de l’artisanat au ministère du Tourisme, un emploi entre la fin de l’année 2020 et mars dernier.
Une telle manifestation sera plus massive que le Hirak en prenant cet ordre de grandeur juste pour les besoins de la comparaison. L’événement redonnera de l’espoir aux jeunes oisifs et relancera la confiance des Algériens dans leur pays. Toutefois, à vue de nez, ces chiffres présentent un sensible écart avec la réalité.
Créer près de 100 mille postes de travail en trois quatre mois suppose que la machine de production a démarré sur les chapeaux de roues et que toutes les entraves qui empêchent l’investissement ont été levées.
Or on ne sent rien de tel dans le paysage économique. On est même tenté d’affirmer le contraire de ce que M. Bouam a avancé. Même l’Agence nationale de l’emploi (Anem), l’Agence nationale d’appui et de développement de l’entrepreneuriat (Anade) et l’Agence nationale de gestion de microcrédit (Angem) sont restées muettes sur le sujet.
A vue de nez, ces chiffres paraissent biaisés pour ne pas dire exagérés. En effet, tout le monde sait que l’économie algérienne souffre de récession depuis la chute des prix du pétrole et, particulièrement, depuis le déclenchement de la crise sanitaire. La contraction de l’activité productive à cause des restrictions liées à la lutte contre le Covid-19 a, en 2020, obligé de nombreuses entreprises à dégraisser leur personnel. Les trois-quarts des opérateurs ont gelé ou annulé leurs recrutements. Les administrations publiques ont elles-mêmes mis en congé forcé 50% de leur effectif. Pendant ce temps, si on croit le DG de l’Artisanat au ministère du Tourisme, le secteur recrutait nonchalamment et à tour de bras des dizaines de milliers de candidats.
Kamel Bouam a été, cela dit, évasif sur les détails. Il a fait usage d’une langue assez poétique pour décrire de l’opération qui, a-t-il dit, vise « la promotion et la valorisation de l’économie nationale, la réalisation de revenus, la préservation du legs cultuel et civilisationnel du pays et la protection de l’environnement ».
Il n’a donné aucune précision sur les lieux, les spécialités ou les catégories qui ont bénéficié de l’embellie. Il a seulement fait état de 417 mille artisans inscrits actuellement au niveau national dont 31 mille nouveaux artisans inscrits en 2020. Et comme il n’est pas avare de bonne nouvelles, le responsable a affirmé que son secteur a contribué jusqu’à présent à la création de plus d’un million d’emplois tout en générant 335 milliards de dinars par an.
Bref, l’annonce de 84 000 emplois créés en quelques mois par le secteur de l’artisanat ressemble à s’y méprendre à un poisson d’avril. Il s’agit probablement d’une offre politique en prévision des prochaines législatives ou pour d’autres motifs de conjoncture politique.
Si c’est le cas, la publication de chiffres qui n’entretiennent aucune relation avec la réalité confirmerait le coup de colère du sénateur qui a récemment pris à partie le gouvernement. « On ne fait que parler, avait-il dit à l’adresse de d’Abdelhamid Hamdani, ministre de l’agriculture. Il n’y a pas de ministère qui fonctionne, pas d’industrie et pas d’agriculture. Tout est à l’arrêt. Nous ne faisons que tourner en rond ». Il a ensuite ajouté, plein de pessimisme, « personne ne cherche à développer le pays (…) On vient mentir ici, et repartir ».
C’est devenu, en effet, une tendance irrépressible depuis des années chez les responsables algériens. Pour se maintenir en poste ou maintenir la population dans l’ignorance, ils débitent des informations que personne ne peut vérifier. Cela s’appelle dans le meilleur des cas de la propagande ou, dans le pire, le parjure et la manipulation.
Mourad Fergad