Un changement sociologique important est révélé par les statistiques publiées par l’Onec à l’occasion des examens du BEM et du Baccalauréat. Le nombre de filles dépasse de loin celui des garçons à tous les niveaux de l’enseignement. Bientôt, les femmes seront plus nombreuses dans les positions supérieures.
A la naissance et dans toutes les populations du monde, le nombre de garçons est toujours supérieur à celui des filles. Aussi, pour 105 enfants de sexe masculin, il naît 100 enfants de sexe féminin. L’Algérie n’échappe pas à cette règle naturelle. Il est donc faux de dire que les femmes y sont plus nombreuses sauf aux âges les plus avancés où le poids des mâles décline plus rapidement que celui des femelles. Ce seuil est atteint en Algérie à partir de 65 ans où le rapport s’inverse, donnant 89 hommes pour 100 femmes.
La surmortalité masculine obéit à une série de raisons, notamment une plus grande exposition aux dangers du travail extérieur, aux guerres mais aussi à une plus grande fragilité de l’organisme. La répartition numérique entre les deux sexes ne montre pas pour autant une très grande disparité. De 0 à 14 ans, le ratio est de 105 garçons pour 100 filles. Cette situation reste inchangée jusqu’à la tranche d’âge de 25 à 54 ans où le rapport passe à 103 hommes pour 100 femmes, puis à 101 pour 100, de 55 à 64 ans. Ce n’est qu’à partir de 65 ans que le nombre des femmes commence à dépasser celui des hommes.
Toutefois, on observe un phénomène curieux depuis quelques années en lisant les statistiques publiées par l’Office national des examens et concours (Onec) à l’occasion du baccalauréat et du brevet de l’enseignement moyen. Ces chiffres laissent apparaître une différence significative entre les lycéens et les lycéennes encore scolarisés.
Ainsi, sur 459 545 candidats 278 712 sont des filles contre 180 833 garçons, soit une différence de 92 879 à l’avantage du sexe faible. Or, si la tendance était normale, on devrait trouver au bas mot une parité et même un surplus de garçons. La même propension prévaut dans le cycle moyen. Cette année, 332 456 collégiennes scolarisées ont passé l’examen du BEM contre 292 767 collégiens, ce qui donne un manque à gagner de 40 mille garçons.
Les jeunes algériens sont donc moins intéressés par les études que leurs sœurs. Plus de 100 mille d’entre eux, nés en 2006, ont déserté l’école avant même la fin du cycle obligatoire sanctionné par le brevet. Cette déperdition qui s’amplifie d’année en année risque de s’aggraver dans l’avenir. Le nombre d’hommes possédant un diplôme d’enseignement supérieur se réduit sensiblement tandis que celui des femmes augmente.
Vers l’hyper-féminisation de l’élite
Cela signifie que l’on s’achemine à une hyper-féminisation de l’élite intellectuelle algérienne et des postes de responsabilité dans les entreprises et les institutions. Pourquoi en sommes-nous arrivés à cette situation ? Il est difficile de répondre à cette question tant elle fait appel à une multitude de motifs. Le plus évident est à chercher dans le modèle d’éducation au sein des familles où le garçon est un roi auquel on ne refuse pas les caprices. Sa sœur, en revanche, est préparée dès l’enfance à fournir des efforts à la maison, à assumer des responsabilités et à songer à son avenir en tant que femme puis mère. Pour elle, la réussite passe par les études. Le garçon, lui, rêve de devenir une star du football, un commerçant fortuné ou envisage un exil doré à l’étranger. Il n’est pas adepte de la politique des petits pas comme c’est le cas des filles. Une large part des jeunes algériens sont partisans du tout ou rien, pour certains, de l’argent facile, pour les autres, et de l’ici et du maintenant pour le reste. Sinon, ils sont proies au découragement quand ils n’obtiennent pas ce qu’ils désirent.
Contrairement à eux, les filles gèrent mieux la frustration et l’adversité. Elles utilisent également mieux leur temps. Du moins, elles ne le gaspillent pas en flânant dans les rues et les quartiers, à jouer au foot ou à pratiquer d’autres loisirs. Elles disposent donc d’une marge plus étendue pour étudier.
Quoi qu’il en soit, la déscolarisation massive des garçons aura certainement des conséquences importantes sur l’avenir du pays. L’assaut patient des femmes sur les positions supérieures et intermédiaires bouleversera totalement le panorama sociologique et culturel de l’Algérie. Il finira par provoquer l’effondrement du système patriarcal et le remplacera par un modèle plus souple, conforme aux aspirations du deuxième sexe. Les institutions du mariage, de la famille et même de la justice seront ainsi profondément affectées. En résumé, une révolution tranquille, silencieuse, est en train de se dérouler sous nos yeux. Elle justifie amplement la sentence lancée par le chanteur français Jean Ferrat en référence à un vers du poète Louis Aragon : «la femme est l’avenir de l’homme».
Mohamed Badaoui
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