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Une histoire comme on entend rarement : les Bensmaïl font le don du pardon

Après avoir perdu un valeureux fils dans des conditions atroces, la famille milianaise a préféré la clémence à l’instinct de vengeance. Son geste pacifique et sage a ému tout le pays, en premier lieu la Kabylie.

Le cœur brisé par le chagrin, mais le maintien digne, Mohamed Bensmaïl, père de Djamel, a, avant d’entrer à l’hôpital pour reconnaître la dépouille calcinée de son fils, posé les jalons de ce que la fraternité, le déni de soi, signifient.

Son geste, qui est à inscrire au panthéon mondial des actes fondateurs de la noblesse humaine, de la tolérance, de la droiture, peu d’hommes ont été ou seront capables de produire.

Inspiré par une force mystérieuse réservée aux prophètes, aux grands sages et aux saints, Mohamed a prononcé un pardon, sans équivoque, sans retenue pour absoudre une région brûlée au troisième degré alors que le diable de la rancœur lui susurrait le contraire. D’une parole, il a éteint les feux de la haine et fait ainsi tomber sur une Kabylie en flammes une pluie apaisante.

D’où vient cette grandeur d’âme déployée par ce père qui a vu son fils battu, humilié, traîné par les jambes, aspergé d’essence puis brûlé vif sur le dallage d’une place publique ? Comment a-t-il pu résister à la colère, à l’instinct de vengeance envers les monstres qui ont martyrisé son sublime descendant ?

Le visage, certes contrit par la douleur, il a trouvé la force d’exprimer son détachement vis-à-vis des pulsions vilaines. Il a préféré endurer seul l’épreuve et submerger la braise qui consumait ses entrailles par l’eau douce, claire, du pardon.

Bien sûr que la Kabylie est innocente de l’ignominie qui a eu lieu sur son sol. Cela ne fait aucun doute. Les habitants de cette terre montagneuse, rugueuse, ont assuré leur survie grâce à un sens élevé de la justice pour que les piliers de leur société ne soient pas mis en danger par des déviants. Bien sûr qu’ils vivent maintenant une déchirure qui ne se cicatrisera jamais faute d’avoir manqué de vigilance pour protéger un invité, un ami, un bienfaiteur venu, dans un moment difficile, les aider. La culture kabyle interdit cette infraction à la vaillance, à la gratitude et à l’hospitalité.

Figures légendaires contre cerveaux et cœurs étroits

Qu’auraient pensé de ce drame Mouloud Feraoun, Abane Ramdane, Tahar Djaout, Matoub Lounès, tous assassinés par des lâches ? Qu’en auraient pensé Idir, Djamal, Allam, Chérif Kheddam, El Hasnaoui ? Qu’en aurait pensé Hocine Aït Ahmed ? Voilà des questions inutiles, tant la réponse est évidente.

A ces figures légendaires, se substituent aujourd’hui des cerveaux et des cœurs étroits qui justifient le crime abject par une conception douteuse de l’omerta. Assis derrière des écrans, tapis dans des recoins sombres, ils instillent la haine, perpétuent la discorde en soufflant sur ses pierres ardentes. Ils justifient l’innommable en essayant de détourner l’attention vers d’autres coupables pour soustraire aux regards les monstres que leur discours ont enfantés. Ils inoculent dans les esprits le délire paranoïaque pour mieux les contrôler et entretiennent le four de l’hostilité allumé. Ces voix caverneuses doivent être condamnées à la mutité. Elles doivent laisser place aux chants qui animaient jadis les montagnes, lorsque les hommes, les plantes et les animaux vivaient en harmonie.

Le savoir ancestral et sa tempérance existent toujours aux sommets du Tamgout, de l’Akfadou et du Djurdjura. C’est cette philosophie qui les gouverne depuis toujours et continuera de le faire même si elle a été chahutée un instant par les dérives que suscitent les appétits. Il est certain qu’elle tirera les conclusions de la tragédie que vit en ces temps pénibles la Kabylie pour les transformer en enseignements. Il est certain que toute l’Algérie en sortira grandie.

L’été 2021 est l’un des plus cruels que les Algériens ont vécu. C’est aussi celui où ils ont mesuré combien ils peuvent être aimants, solidaires et efficients. De la crise de l’oxygène, aux incendies, au traumatisme que leur a causé l’effrayant assassinat de l’ange de Miliana, ils sont passés par de fortes émotions. Ils ont toutefois privilégié l’essentiel : sauver la vie en mettant de côté les remontrances et le découragement.

Cet élan a été couronné par l’attitude majestueuse de Mohamed Bensmaïl et son épouse qui ont décidé de combattre le mal par la patience, par la clémence, donnant ainsi une leçon de bravoure à tous leurs concitoyens et au monde entier.

S’ils vivaient parmi nous, le Mahatma Ghandi, Nelson Mandela et même le prophète Ibrahim auraient étreint le couple pour le consoler et l’inviter à rejoindre leur rang. La famille Bensmaïl semble être venue sur terre pour délivrer un message de paix, d’amour et de fraternité. Elle a jeté de cette manière les fondements d’une nouvelle façon de vivre ensemble expurgée du ressentiment, en dépit de l’adversité.

Quant à la Kabylie, elle a désormais un nouveau saint, Djamel Bensmaïl, mort la pelle à la main, le sourire au visage, la générosité chevillée au corps. Son génie joyeux, rassembleur, veillera sur elle et la protégera des démons.

Mohamed Badaoui

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