Les pénuries qui touchent actuellement des aliments de base ne sont pas innocentes, disent les autorités. Elles ont pour but de déstabiliser le marché et même le pays. Une commission parlementaire va enquêter sur le sujet. La loi prévoit des peines extrêmement sévères contre les contrevenants.
L’année 2022 pèsera lourd sur les ménages au revenu modeste. La suppression, prévue par la Loi de finance, des subventions de l’Etat aux produits de première nécessité aura un impact important sur les petites bourses. On ignore pour l’instant par quel biais les hausses des prix seront compensées : chèque versé directement au bénéficiaire du programme d’aide promis par le gouvernement, abattements fiscaux sur les salaires inférieurs à un certain niveau ou un tout autre mécanisme ?
Ce que l’on sait, en revanche, de source officielle, c’est que la spéculation et les pénuries organisées en vue d’enflammer le marché. Depuis quelques jours, certains commerçants notamment des boulangers ont augmenté leurs tarifs sans attendre un quelconque feu vert officiel. Dans le même temps, des aliments de base comme l’huile de cuisson ont disparu des étals ces derniers jours augurant de la reprise de la spéculation.
La situation est tellement sérieuse que le Conseil de la nation a décidé, hier, de créer une commission d’enquête parlementaire sur la pénurie et la spéculation sur des produits alimentaires de large consommation.
Le Sénat a sorti l’artillerie langagière lourde pour qualifier “le fléau du monopole et de la spéculation illicite, qui prennent de nouvelles proportions”. Ces opérations frauduleuses menacent, selon la Chambre haute, “la stabilité, la cohésion et l’immunité sociétale de la nation, et au regard des développements survenus sur le marché des biens et marchandises dans plusieurs wilayas et des pratiques et comportements hostiles et honteux de certains spéculateurs qui s’en prennent à la subsistance des citoyens”.
La commission parlementaire “entamera son travail par la mise en place d’un programme d’action à court terme conformément aux mesures légales” et compte faire “la lumière sur les causes de cette crise, ses instigateurs et les parties qui l’alimentent”. Son but est de “contrer les manœuvres et les comportements malveillants répétés des spéculateurs qui participent de leur égoïsme et de leur avidité aux dépens des producteurs et des consommateurs”, selon un communiqué du Conseil de la nation. Le Sénat a tenu à rappeler à “tous les spéculateurs, les larbins de la cupidité et les provocateurs de troubles et des tentatives d’atteinte au pays que le Parlement, avec ses deux chambres, avait adopté récemment une loi relative à la lutte contre la spéculation illicite qui prévoit des dispositions et des mesures répressives”. La république “sévira contre toutes les parties qui tentent de mettre en péril la subsistance des Algériens et déjouera tous leurs plans ignobles”. Le communiqué du Sénat a prévenu que “l’Etat et la loi seront à l’affût à travers la consécration de la reddition des comptes en vue d’instaurer une vision claire de l’égalité sociale et de préserver le caractère social de l’Etat”.
Une loi extrêmement sévère
Au mois de décembre, le ministre de la justice, Abderrachid Tabi, a réussi à convaincre les députés et les sénateurs d’adopter un projet de loi extrêmement sévère pour lutter contre la spéculation illicite. Le garde-des-sceaux a précisé qu’il s’agissait là de la meilleure manière de garantir le respect des droits économiques des consommateurs, la sécurité alimentaire du pays et la santé des citoyens.
D’après lui, le nouveau texte permet désormais au Parquet la mise en mouvement automatique de l’action publique contre ces pratiques. Il offre, en outre, aux associations de protection du consommateur ou toute autre personne ayant subi un préjudice de déposer une plainte auprès des juridictions et de se constituer partie civile dans ce type d’affaires.
Il autorise aussi la police judiciaire, lors de l’enquête préliminaire, à proroger, à deux fois, la durée de garde à vue sur autorisation écrite du procureur de la république compétent ainsi que la perquisition à tout moment sur autorisation écrite.
Les nouvelles dispositions pénales sont assorties d’un éventail de peines suivant une échelle graduelle logique ascendante. Si le délit concerne des produits de base comme les céréales et leurs dérivés, le lait, l’huile, le sucre et les légumineuses, la peine peut aller jusqu’à 20 ans de prison en plus d’une amende de 10 millions de dinars. La condamnation peut être portée à 30 ans de réclusion et une amende de 20 millions de DA dans le cas où le “crime” est commis dans des circonstances exceptionnelles ou en cas de propagation d’une épidémie ou d’une catastrophe. La perpétuité pourrait être requise si le délit est commis par un groupe organisé.
Le projet prévoit également la confiscation du local qui a servi de lieu à l’opération ainsi que les moyens utilisés et les fonds encaissés. Les auteurs seront également radiés du registre du commerce et interdits d’exercer des activités commerciales. L’exploitation de leur siège d’activité sera, en outre, prohibée pendant une année au maximum.
Mohamed Badaoui