Loin de nous l’idée de contester la pertinence des indicateurs macroéconomiques dans l’évaluation de l’activité économique d’un pays ou d’une région, encore moins de sous-estimer leurs usages dans les comparaisons internationales. Ils sont été bâtis sur des méthodologies sophistiquées et ont connu des améliorations périodiques grâce aux évolutions des outils statistiques et surtout aux nouveaux instruments de calcul. La numérisation a beaucoup apporté à la collecte de l’information.
La multiplication des bases de données quantitatives a été aussi très utile pour le croisement des sonnées et ainsi la réduction des incohérences et des erreurs de saisie des informations brutes. Les capacités de calcul permettent quant à elle de multiplier les variables et les tests d’erreur.
A la base du calcul des indicateurs, on utilise le Système de Comptabilité Nationale des Nations-Unies (S.C.N.) Celui-ci a été mis en place, pour la première fois de manière normalisé et documentée en 1953 et il a connu des révisions en 1968, 1993 et 2008. Une dernière révision vient d’être adoptée par la Commission de Statistique de l’ONU en mars 2025 ; les guides d’utilisation ne sont pas encore élaborés.
La quasi-totalité des pays utilise ce système harmonisé et normalisé. Tout ceci est merveilleux et même séduisant dans une économie organisée où les données de base sont formalisées à la source (chez le commerçant détaillant, chez le Taxi, ou le petit artisan, chez l’entrepreneur et partout…) grâce à des déclarations fiscales, sociales agencées et croisées par des plateformes numériques et des administrations efficaces et moins corrompues (le contrôle des fausses déclarations).
Par ailleurs, chaque Système Statistique National organise sa méthode et utilise des outils pour la collecte de l’information économique allant des enquêtes périodiques aux croisements des bases de données sectorielles. On utilise de moins en moins les recensements exhaustifs, coûteux et lourds à conduire. La fiabilité des données et l’efficacité d’un système des comptes nationaux reposent sur l’organisation d’un système de collecte et d’un contrôle-qualité à tous les niveaux.
Si vous ne disposez pas d’un bon système statistique, les données collectées ne seront pas fiables et les résultats de leurs analyses et leurs agrégations en indicateurs macroéconomiques ne peuvent être BONS. Partant de là, quid des commentaires, des analyses et des projections qui peuvent être tirés de ces indicateurs. Alors, les analyses savantes des institutions internationales, comme le FMI, La Banque Mondiale, L’OCDE, etc… et les commentaires qui les accompagnent, tantôt élogieux, tantôt menaçants sont plus proches de la fiction que de la réalité.
La trouvaille par ces institutions, ces dernières années, pour améliorer la fiabilité des données dans les économies sous-organisées, est ce qu’on appelle les données miroirs, qui consistent à exploiter les données les plus formalisées comme les données douanières et faire des extrapolations sur les autres données moins visibles, oubliant ou faisant semblant d’ignorer le commerce informel transfrontalier. On utilise aussi des approches par proxy en s’appuyant sur des données publiques sur internet ou des données comme la consommation d’énergie ou l’équipement électroménager des ménages pour extrapoler des données sur la consommation ou les revenus des ménages ou l’activité des entreprises.
Ça reste hypothétique et fragile. Dans ces économies moins organisées, les activités informelles sont dominantes particulièrement dans l’agriculture et les services de base. La collecte des données dans ces secteurs est très complexe, acteurs atomisés, fiscalité absente, facturation inexistante.
Dans l’agriculture, par ex. la collecte des données se fait sur une base déclarative et intuitive par un agent dans les APC. Seuls les produits livrés aux CCLS (céréales et légumes secs) sont enregistrés et quantifiés de manière acceptable ; mais la production réelle n’est pas totalement cédée à ces coopératives.
L’industrie manufacturière et les Travaux public sont entachés de défaillance informationnelle. On continue à enquêter les seules entreprises publiques et on laisse le reste, pourtant le secteur privé est dominant dans plusieurs filières. Ce constat sur l’activité économique peut être généralisé au calcul de l’inflation et au taux de chômage. Pourtant pour ce dernier, jusqu’en 2018, l’ONS organisait deux enquêtes annuelles sur l’emploi avec une certaine fiabilité. L’emploi informel est intégré dans ces enquêtes.
Au final, les indicateurs économiques tirés de données peu fiables ne peuvent refléter la situation économique réelle du pays. On ne peut préjuger que les indicateurs calculés soient surestimés ou sous-estimés. Peut-être que le PIB algérien est supérieur à celui donné par les comptes nationaux, comme il peut être aussi inférieur.
Les tentatives d’intégration de l’économie informelle dans les agrégats nationaux par des estimations par la technique, formelle et conforme au SCN 2008, de « rebasage » visent à améliorer ces agrégats, particulièrement le PIB, grâce à une actualisation des données de l’année de référence par l’intégration des évolutions dans les structures de l’économie. Ceci reste des solutions ponctuelles, factuelles, conjoncturelles qui ne peuvent se substituer à un système national statistique pertinent capable de produire des indicateurs objectifs sur la base de données fiables.
Déjà que les indicateurs macroéconomiques sont contestés en tant que tels, alors les bâtir sur des bases peu fiables, ça réduit encore leur pertinence et leur faire perdre leur sens et leur utilité. En effet, de nombreux économistes critiquent les nomenclatures et les méthodes de calcul des indicateurs et considèrent que de nombreux paramètres, pas nécessairement quantitatifs et économiques, devraient être intégrés dans les indicateurs pour une juste appréciation de la richesse d’un pays, le bonheur de sa population et les valeurs et l’éthique morale, comme la solidarité, le volontariat, l’économie domestique, l’économie du don etc…
L’économiste indien AmartaSEN, Prix Nobel d’économie en 1998, a été le premier à contester la valeur des agrégats économiques ; le PIB, disait-il, ne mesure ni la richesse d’une Nation, ni le bien être d’un individu. Il a appelé à revoir ce système d’évaluation de l’activité et de la richesse des Nations. Son argument tient au fait que les valeurs éthiques et morales ne sont nulle part prises en considération. Il remet en bonne place les comportements en société et établit deux relations fondamentales : Liberté individuelle et Egalité sociale d’une part et Démocratie et Développement économique d’autre part.
Le rôle de l’Etat dans la redistribution de la richesse est central. Son influence en économie du développement s’est traduite par la création de l’IDH par le PNUD en 1990, qui permet d’effectuer des comparaisons internationales en termes de développement.
En attendant la réforme du système des comptes nationaux par les Nations Unies, améliorons nos données par des enquêtes multiples et régulières et devons bâtir des bases de données solides, sinon, on risque de ne pas avoir une image fidèle de notre économie (en bon ou en mauvais) ou alors nous risquons de faire dire à des chiffres ce que nous voulons entendre. Staline, dans les années trente, disait, lorsque les résultats économiques ne lui plaisaient pas : « les statistiques sont la science des ânes ». L’URSS avait de grands statisticiens à cette époque et même après.