C’est probablement la plus ancienne « nouvelle ville » de l’histoire. On parle de Boughezoul, comme nouvelle capitale de l’Algérie depuis les années 1970. La mise en œuvre de son tracé définitif a commencé à partir de 2007, mais, le projet cité encore une fois lors du dernier Conseil des ministres, demeure en jachère.
Sur le papier et dans les vidéos virtuelles, Bouguezoul, qui se trouve au sud de la wilaya de Médéa, n’a rien à envier à Singapour, Shanghai et aux autres métropoles futuristes. Toutefois, cette Arlésienne dont on parle depuis des décennies se fait désirer et refuse de sortir de terre.
Dimanche, le Conseil des ministres a encore évoqué ce rêve qui a tellement tardé qu’il semble se conjuguer, pour ainsi dire, au mode impossible. Les autorités veulent maintenant « revoir la fonction et les modalités de réalisation de la nouvelle ville » et inviter « des investisseurs privés pour le parachèvement de ce projet avec une touche de développement civilisationnelle ». Autrement dit, l’argent manque pour poursuivre dans une telle folie et les idées sont encore floues pour en faire un pôle urbain d’excellence mondiale, comme il était prévu.
Pourquoi Boughezoul ? D’abord pour des raisons politiques et stratégiques. Situé dans les Hauts-plateaux, le projet se dessinait comme une tentative de créer un effet d’entraînement pour repeupler la région après l’exode rural massif, qui a suivi l’indépendance, vers les régions côtières ou plus de 80% des Algériens vivent aujourd’hui.
Cette surdensité provoque un engorgement de la zone littoral avec toutes les conséquences fâcheuses qu’une mauvaise répartition humaine sur un territoire peut provoquer : pollution, destruction de terres agricoles fertiles, problèmes sociaux et politiques. Des nuisances auxquelles il faut ajouter l’éventualité d’une agression militaire contre les villes méditerranéennes, en premier lieu Alger, avec ce que cela peut comporter comme répercussion sur tout le pays.
L’autre péril consiste à maintenir le centre de gravité politique de l’Etat à un endroit habité par une population nombreuse et en colère. Les événements d’octobre 1988 et, plus tard, le Hirak ont démontré qu’un mouvement populaire massif peut rendre le pouvoir vulnérable s’il se déclenche dans une cité où tous les sièges régaliens sont implantés. Dans certains pays anglo-saxons, il est d’usage de séparer la capitale politique de celle économique qui attire d’ordinaire un plus grand nombre d’habitants eu égard aux activités qu’elle offre.
Pour l’instant, Boughezoul, qui aurait été la première ville 100% algérienne de l’après indépendance si elle avait vu le jour, ne remplit aucun de ces critères. On dit pourtant, depuis au moins trois ans, que les travaux de voirie y ont atteint un taux de 76%, dont un dense réseau de canalisations souterraines et de routes. On parle aussi de l’aménagement de zones d’activité et la plantation d’oliviers sur une superficie d’environ 165 hectares, en plus de six forages d’eau.
On projette également d’en faire un carrefour autoroutier entre l’est et l’ouest, le sud et le nord et le passage d’une ligne de chemin de fer à grande vitesse reliant Alger à Ghardaïa. La future métropole, telle que la montrent des films de réalité virtuelle, sera formée de gratte-ciels en verre plantés sur les bords d’un lac créé artificiellement.
Toutefois, dans les faits, le projet semble avancer à tâtons, avec une faible énergie, et tout porte à croire qu’il connaîtra le sort de la ville de Sidi-Abdallah, à l’ouest d’Alger, qui devait être un pôle urbain et technologique de dernière génération mais qui s’est transformée, avec le temps, en cité-dortoir composée de HLM sans âme.
En comparaison, la «nouvelle capitale» de l’Égypte, voulue par Abdel Fattah al-Sissi quelques années plus tôt, commence à sortir des sables. Situé en plein désert à 50 km du Caire, le projet pharaonique étale des chantiers à perte de vue et sera, vraisemblablement, bientôt livré.
En tout état de cause, le retard pris dans la réalisation de Boughezoul peut-être une bénédiction. Ce délai permettra de mieux penser son architecture pour l’harmoniser avec une région précieuse et fragile. Les villes semblables à Dubaï sont de plus en plus décriées par les nouvelles tendances de l’art de construire. Energivores, déshumanisantes et polluantes, ces agglomérations mégalomaniaques et hors-sol attentent sérieusement à l’environnement où elles prolifèrent.
Mohamed Badaoui