Les événements s’accélèrent en Europe. D’un côté, une guerre inquiétante entre la Russie et l’Ukraine soutenue par l’UE et l’Otan. De l’autre, une crise gazière aiguë se profile dans le vieux continent. Partenaire d’une des parties en conflit et alliée historique de l’autre, l’Algérie subit la pression de choisir un camp.
Depuis sa création, l’Union européenne fait face, pour la première fois, à une conjoncture extrêmement sérieuse. En plus d’une guerre préoccupante à ses frontières orientales et des menaces du président russe, Vladimir Poutine, de recourir aux armes nucléaires, voilà qu’elle tremble de manquer d’énergie en plein hiver. Car il est tout à fait probable que Moscou, excédé par les sanctions décrétées contre lui par les Occidentaux, finisse par fermer le robinet du gaz. Cela mettra automatiquement ses voisins de l’Ouest dans une situation aussi désastreuse que celle qui a suivi le choc pétrolier de 1973.
La panique est ostensible chez les Etats de l’UE. Une saute d’humeur de Poutine pourrait avoir de lourdes conséquences sur leur confort et leurs deniers. La visite du ministre italien des Affaires étrangères qui est arrivé hier à Alger est à inscrire dans ce contexte. Luigi Di Maio est venu, apparemment dans l’urgence, faire part de ces inquiétudes aux autorités algériennes et s’assurer de leur disponibilité à aider son pays et, partant, tout l’ensemble européen. Dès son atterrissage, il a tenu à annoncer via Twitter qu’il se trouve dans la capitale algérienne pour discuter “du renforcement de la coopération bilatérale, notamment pour répondre aux besoins européens de sécurité énergétique, à la lumière du conflit en Ukraine”.
Comprenez que l’Algérie doit se substituer rapidement à la Russie pour pomper davantage de gaz et l’acheminer via le pipeline qui relie ses champs à l’Italie qui est son premier client dans le monde en cette matière.
Dimanche, le président-directeur général de Sonatrach affirmait, dans un entretien avec Liberté, la volonté de son groupe de demeurer un “fournisseur fiable” du marché européen et a rassuré ses clients sur sa disponibilité à les soutenir en cas de “situations difficiles”. Curieusement, hier, le groupe pétrolier dirigé par Toufik Hakkar s’est empressé de déposer une plainte auprès du tribunal de Bir Mourad Rais contre le quotidien Liberté qu’il accuse d’avoir “manipulé et déformé” ses propos. Le communiqué de Sonatrach, qui d’habitude pèse bien ses mots avant de les rendre publics, ne précise pas quels sont les points litigieux de l’interview qui l’ont fait réagir aussi véhémentement.
Toutefois, il semble bien que l’esclandre soit arrivé à posteriori car il serait impensable qu’un journaliste, algérien de surcroît, puisse piéger le boss de l’une des plus grandes pétrolières au monde alors que le pays est dans une posture d’arbitrage entre la Russie, son allié stratégique, et l’UE, son partenaire commercial numéro 1.
Ainsi la guerre en Ukraine est en train d’agir comme un accélérateur géopolitique inédit. Le bras de fer entre Moscou, Bruxelles et l’Otan risque de perturber gravement non seulement les rapports politiques mondiaux mais aussi tous les circuits économiques. Les places financières de la planète s’affolent déjà, le cours du pétrole grimpe rapidement et il faut s’attendre à d’autres surprises si l’escalade se poursuit.
L’Algérie semble, pour l’instant, garder la tête froide mais il est clair qu’elle sera contrainte prochainement sous la pression des événements de se déterminer.
Mohamed Badaoui