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Au cœur de la tempête Delta : la famille tente de rattraper ce que l’administration a négligé (Reportage)

Voici l’histoire vécue par une famille qui s’est dépensée pour tenter de sauver un de ses membres atteint de Covid. Elle montre à quel point le système de santé est dépourvu face à la pandémie. Le manque de moyens de prise en charge des malades, particulièrement en oxygène, est plus préjudiciable que le virus. Les éléments du récit sont authentiques et vérifiés, mais l’identité des acteurs du drame a été préservée par souci de discrétion.

La mort de H. a eu lieu à l’aube. Il n’a pas pu survivre à une énième coupure de l’oxygène médicinal à l’hôpital algérois où il se trouvait. Infecté par le variant delta à l’âge de 68 ans, en détresse respiratoire depuis une dizaine de jours, ses chances de sortir indemne de la maladie étaient minces. Son cœur a lâché même si la charge virale dans son corps était en décrue. Son fils de 20 ans qui l’avait assisté en tant que garde-malade, en relais avec sa belle-mère, est catégorique : «On lui a coupé l’oxygène».

En fait, les soignants et les aides-soignants ne sont en rien responsables de cette interruption du gaz vital. Ils ont utilisé les maigres moyens mis à leur disposition. Le réservoir central de l’établissement n’était pas convenablement alimenté et ne pouvait donc pas suffire à tous les patients. La pression diminuait et le conteneur se vidait régulièrement.

La veille, un camion-citerne de la société Linde avait rempli les cuves, mais était-ce suffisant ? « Non », a répondu un infirmier qui surveillait avec certaines familles l’opération. «Il nous en faut au moins trois comme celui-là. Allez le dire au responsable, là-bas. Nous, ils ne nous écoutent pas».

Le responsable en question était visiblement sur les nerfs. Entouré de policiers, il fixait le tuyau de remplissage, une main posée sur l’arrière du poids-lourd. A voir son expression, on sentait que l’homme subissait une forte contrainte, probablement, de sa hiérarchie.

L’atmosphère était lourde de menaces. Dans la rue, dans les foyers, sur les réseaux sociaux on ne parlait que d’oxygène, de condensateurs, de suffocation des malades. Une course contre la mort animait le pays. Les parents cherchaient désespérément des concentrateurs ou des bonbonnes d’oxygène pour tenter de sauver leurs proches. Des images insoutenables véhiculées par les médias sociaux témoignaient de cette souffrance et du formidable élan de solidarité déployé par les Algériens de l’intérieur et de l’étranger. Une mobilisation qui, en quelques jours, a efficacement supplée les erreurs et le manque d’anticipation de l’administration.

n’était pas le seul membre de sa famille à lutter contre le mal. Un de ses neveux se trouvait en soins intensifs dans une autre ville depuis deux semaines. Celui-ci possédait un concentrateur personnel dont il n’avait pas besoin. Sa famille a rapidement consenti à prêter l’appareil pour maintenir en vie son oncle souffrant.

Urgence

K., le frère cadet de H., a pris très tôt la route pour aller récupérer la machine à respirer. Toutefois, après quelques jours d’utilisation, un appel de détresse a informé la sœur du malade et coordonnatrice de toute la famille que le neveu venait d’être privé d’oxygène par l’hôpital. Il fallait donc restituer, en urgence, le condensateur sous peine d’avoir un drame sur la conscience.

C’est un autre membre de la famille qui s’est chargé de reprendre le dispositif du pavillon Covid pour le rendre à son propriétaire. Il a roulé à tombeau ouvert pour arriver pour arriver à temps. Il a ensuite transporté, en toute hâte, les garde-malades puisqu’il était impossible de trouver une ambulance ou un autre moyen spécialisé.

La sœur de H. a remué ciel et terre pour trouver un appareil de substitution et réussi à s’en procurer grâce à une belle-sœur. Tous ces efforts n’ont, malheureusement, pas suffi. Le lendemain, H. a rendu l’âme faute d’oxygène. Il a été, évidemment, inscrit sur la liste des victimes du Covid sans autres précisions.

Le matin, bien qu’elle ait appelé la morgue, une employée du service dans lequel le défunt était admis a demandé aux membres de la famille d’aller faire pression sur ses collègues des pompes funèbres pour qu’ils procèdent à la levée du corps. A., un autre neveu dans la trentaine, s’est rendu sur place où il a constaté la nonchalance qui y régnait. «Les infirmiers et les ambulanciers discutaient allègrement, la plupart sans bavette, un gobelet de café à la main. Ils m’ont assuré qu’ils allaient rapidement venir et s’occuper de tout. A 10 heures 30, ils n’étaient toujours pas là. Ils ne sont arrivés qu’environ une heure plus tard accompagnés d’un ambulancier vêtu d’un tee shirt, d’un jean et de claquettes aux pieds qu’ils ont laissé avec nous pour aller prendre une dépouille dans un autre service. Entre-temps, l’ambulancier est entré voir mon oncle et, dès qu’il est ressorti, il s’est lancé dans une sorte d’étonnant marchandage autour du cercueil. Ses propos allusifs étaient totalement dépourvus d’empathie. On ne comprenait pas ce qu’il voulait».

Les employés de la morgue sont revenus avec un sac mortuaire. «Ils ont fait mine de ne pas reconnaître l’ambulancier alors qu’au matin je les avais vus en grande discussion. Leur attitude m’a paru bizarre».

Cercueil en planches de bois scellé par la famille

Selon A., les agents ont placé le cadavre dans une poche noire dont «la fermeture-éclair n’arrivait pas jusqu’au bout». Ils l’ont ensuite installé dans une civière et l’ont laissé ainsi à l’entrée du service avant de quitter les lieux. « C’est mes oncles, mon cousin et moi qui l’avons mis dans le cercueil en planches de bois. J’ai pris le risque de forcer la fermeture mais sans succès. C. (le fils du défunt, ndlr) a ensuite scellé la caisse à l’aide d’un tournevis ».

Ils se chargeront aussi de l’enterrer après une prière expéditive lue par un imam qui officie au parking du cimetière d’El Alia, là où les autorités ont décidé de créer un carré exclusif pour les morts du Covid. A. raconte aussi que lorsqu’il est parti déclarer le décès plus tôt à la mairie, il a été frappé par l’insouciance des commis et du public. Non seulement, dit-il, les masques étaient portés avec négligence mais les préposés distribuaient les documents sans aucune précaution. Dans cet endroit clos, plusieurs personnes venues mentionner la perte d’un proche se côtoyaient dans la promiscuité. Il se pouvait que certains étaient porteurs du virus. «J’ai eu droit à quatre feuilles de papier qui étaient, sans doute, infectées. Je devais les transmettre à mon tour à d’autres guichetiers. Comment voulez-vous que la chaîne de transmission du virus s’arrête ?»

La famille de H, qui compte plusieurs médecins et des cadres instruits en son sein, a été livrée à elle-même durant toute l’épreuve. La Santé publique s’est limitée à prévoir un lit ordinaire, dans une salle sous-équipée ; un «privilège» rendu possible après des interventions. Le reste a été l’œuvre de la fratrie, notamment la sœur qui s’était chargée de l’intendance, la logistique et des communications. L’effort n’a certes pas empêché la mort du malade, mais le groupe s’est battu avec acharnement pour sauver un des siens que la médiocrité du système de santé a condamné. Combien sont-ils, en ce moment, les citoyens qui se tuent en ce moment sans connaissances scientifiques, sans ressorts intellectuels, ni moyens financiers ou entrées dans les hôpitaux, pour venir sans succès en aide à un être cher ?

Mohamed Badaoui

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