La saison des Prix Nobel vient de se terminer avec l’attribution du dernier Prix, qui en vérité n’en
est pas un. Le testament d’Alfred Nobel (1901) ne prévoit que trois Prix scientifiques (Physique,
Chimie, Physiologie ou Médecine) auxquels se sont ajoutés un Prix pour l‘action pour la Paix et
un Prix pour la littérature. Le Prix pour la science économique est venu beaucoup plus tard, en
1968, sur une proposition de la Banque de Suède. D’ailleurs, son appellation est différente des
autres : « Prix en sciences économiques à la mémoire d’A. Nobel ». Ce dernier Prix est très
contesté par la communauté scientifique y compris au sein de la discipline elle-même. On ne
reconnait pas à cette discipline le statut scientifique, comme la chimie ou la physique. Le débat
sur cette question est ouvert depuis très longtemps et porte sur l’absence de
vérification/validation des analyses et des recommandations proposées. Pour un même problème,
on peut avoir plusieurs « points de vue ou plusieurs options de solution ». Ce qui montre
l’influence idéologique et/ou politique dans le raisonnement. Des économistes de grande
réputation, à l’instar de Gunnar Myrdal qui, après avoir contribué à son instauration et en avoir
été lauréat en 1974, appela à son abolition.
Deux grands courants dominent actuellement la recherche en économie, l’un s’intéresse presque
exclusivement à la théorie économique pure (ou économie standard) et l’autre s’investit dans
l’économie empirique. Les deux utilisent l’instrument mathématique pour faire des
démonstrations et justifier/valider les conclusions tirées des analyses. Mais chez les deux, les
analyses demeurent hypothétiques et les conclusions abstraites, car ne tiennent pas compte, ou
pas suffisamment, des contextes institutionnels, historiques, politiques et même culturels.
L’économie comme activité demeure une activité sociale, au sens d’A. Sen (un autre Prix Nobel),
exercée par des hommes dans des rapports sociaux non standards, formels et informels. La
modélisation mathématique a apporté énormément au développement de la science économique,
particulièrement dans les outils d’analyse et le croisement de nombreuses variables pour
expliquer des phénomènes présents ou passés et explorer de nouvelles pistes de recherche ; mais
en même temps la construction des modèles est subordonnée à des hypothèses, parfois
réductrices, et à des données, souvent insuffisantes ou incomplètes.
L’usage abusif des mathématiques est voulu pour donner une soi-disant scientificité à la
discipline. Beaucoup d’économistes hétérodoxes ont décortiqué les modèles mathématiques
utilisés par l’économiste et dénoncent l’incohérence entre le modèle et le monde réel. En effet,
l’introduction des instruments mathématiques, aussi bien dans la modélisation que dans les études
empiriques n’a pas amélioré la crédibilité de la science économique, « Les formules
mathématiques énoncées par les économistes sont valides dans l’univers clos et abstrait des
nombres, mais « le modèle ne passe pas le test de vraisemblance et cela ne semble pas poser de
problème ». Ch. Chavagneux (alternatives économiques du 24/08/2024) apporte un coup de
massue : « De plus en plus d’études viennent relativiser la qualité des études empiriques
produites par les économistes. Ce qui, compte tenu de la place qu’occupent ces derniers et leurs
recommandations dans le débat public, pose de sérieux problèmes, pour la crédibilité de leur
profession et pour la démocratie. Pas moins de trois travaux récents viennent ainsi jeter le doute
sur la qualité du tournant empirique pris depuis quelques décennies par une science économique
longtemps restée abstraite et modélisatrice. »
Pour cette saison, le Prix de la Banque de Suède en sciences économiques à la mémoire d’A.
Nobel est attribué à trois économistes : un américain (Joel Mokyr), un français (Philippe Aghion)
et un canadien (Peter Howitt). Le Prix a récompensé les travaux des trois économistes dans
l’étude de la relation entre innovation et croissance économique. Ils expliquent comment
l’innovation est le moteur du progrès, ils constatent aussi que la technologie évolue rapidement et
impactent aussi bien les produits que les méthodes de production ; ainsi de nouveaux produits
remplacent les anciens, ce qui stimule la compétition entre firmes et incite à l’innovation dans un
cycle sans fin. La théorie Schumpetérienne (la destruction créatrice) est la référence conceptuelle
des travaux des trois lauréats. Les conclusions sont largement admises dans les milieux
académiques et même dans les stratégies industrielles des firmes. (lire l’excellente contribution de
Meksen Rachid en page ……)
Dans une précédente chronique nous avions exposé le problème de l’innovation dans l’économie
algérienne et la faible contribution du budget et des institutions de recherche à la recherche-
développement. En matière d’innovation, l’Algérie est loin derrière les pays comparables (Iran,
Egypte, Turquie, Arabie Saoudite…..) et même les pays maghrébins nous surclassent. Nos
entreprises sont loin de la frontière technologique de leur domaine d’activité. Un vrai débat sur le
sujet doit être engagé pour sortir des sentiers battus de la relation université –entreprise, des PNR,
dont le concept est séduisant mais la mise en œuvre bureaucratisée. Les déclarations
conjoncturelles à l’emporte-pièce et les annonces de résultats chimériques sans lendemain ne font
que décourager les esprits les plus éclairés. La compétitivité par les facteurs classiques (main
d’œuvre, énergie,…) commence à être remplacée par celle de l’innovation en général et du
numérique en particulier. Dans une précédente chronique, nous avions suggéré une dotation de 10
Mds de $ d’investissements dans l’IA. Gardons l’espoir que le budget 2026 réserve au moins une
première tranche à cette action.