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Chronique d’Anouar El Andaloussi / Démographie : Bonus ou Fardeau

Dans la tradition des économistes orthodoxes, la démographie ou de manière générale les études sur la population sont souvent reléguées au second rang des variables à intégrer dans leurs modèles. La démographie est implicite, pourtant les modèles de marché s’appuient sur l’évolution de la consommation, ce qu’on appelle la demande. Les démographes eux-mêmes ne sont pas très représentatifs dans les débats sur ces questions. Pourtant les questions démographiques sont au centre des politiques publiques aussi bien du point de vue de la satisfaction des besoins d’une population que du point de vue du traitement des autres phénomènes socioéconomiques comme l’emploi, le chômage,  l’immigration/émigration, ou encore des phénomènes comme la violence, l’échec scolaire, la famille… Connaître le nombre, la composition par âge ou la répartition géographique des habitants d’un pays n’est pas une fin en soi, mais a un objectif principal : éclairer les acteurs politiques et économiques sur les décisions à prendre pour satisfaire les besoins des populations ou sur les mesures souhaitables pour l’objectif premier de tout gouvernement : assurer la concorde et la cohésion entre les habitants de son pays.

La deuxième dimension de la démographie est de nature géopolitique. Depuis la deuxième guerre mondiale, la puissance des Etats est souvent corrélée avec la taille de la population. La guerre froide entre l’URSS et l’Occident (principalement les USA) a été fortement influencée par le rapport de force démographique. La stratégie américaine a consisté surtout à contenir l’élargissement de l’espace d’influence de l’URSS. « D’où la stratégie du containment mise en œuvre par les États-Unis à compter de 1947, qui vise à empêcher l’extension de la zone d’influence soviétique au-delà de ses limites atteintes en mars 1947 et à contrer, sur tous les continents, les États susceptibles d’adopter le communisme. » (Gérard-François DUMONT :« Géopolitique des populations : lignes de fractures. Déplacer, protéger, contrôler. »  Revue diplomatique – Hors-série n°1, 2025).

Aujourd’hui encore, la guerre en Ukraine obéit à cette logique de domination : la Russie sans l’Ukraine est fortement diminuée sur le plan géostratégique : plus de 50 millions d’habitants (un peu moins de 50% de la population russe) et un accès sur la Mer Noire, seule ouverture pour la Russie sur les Eaux chaudes.D’ailleurs, depuis la fin de l’URSS, Moscou affirme publiquement l’importance de la variable démographique comme ressort géopolitique. En effet, les pouvoirs russes ont périodiquement exposé leur préoccupation face à leur « hiver démographique », c’est-à-dire une fécondité abaissée.

Souvent on met en rapport l’étendue d’un territoire et sa population et sur cette question la Russie, dépouillée de ses satellites de l’ex. URSS devient très vulnérable : Que représentent  130.Millions d’habitants sur un territoire de plus de 17 Millions de Km2. A contrario, la Chine a un meilleur rapport Espace/Population. Mobiliser des hommes à la fois pour les activités économiques et pour la défense du territoire a été une exigence pour la Chine. Nous savons, aujourd’hui, que la population chinoise connaît un repli (décroissance qui va conduire à une baisse de la population de 10% à l’horizon 2100). Les Chinois cherchent déjà à trouver les moyens pour y faire face.  L’autre exemple souvent cité pour illustrer l’importance de la profondeur territoriale et surtout l’ajout démographique : c’est le cas d’Israël, qui  depuis 1948, et même avant, a maintenu jusqu’à maintenant sa politique d’étendre son territoire  par la colonisation et surtout d’attirer de nouveaux arrivants juifs d’Europe, d’Amérique et même d’Afrique (l’Alyah).

On voit bien qu’un territoire vaste est un atout au plan géopolitique ; mais s’il est sous peuplé, ratio population par Km2, (Russie, Canada…) ou dont la population est mal répartie sur l’espace géographique (Russie, Argentine, Canada, Algérie…), il présente des vulnérabilités, du point de vue géostratégique et même économique (infrastructures de transports, réseaux d’énergie, etc…). 

Des pays développés comme le Japon, l’Italie, La Russie, … font face à un vieillissement et à une faible fécondité qui ne permet pas le renouvellement de la population.

La Chine tire sa puissance plus du facteur démographique que de sa superficie, pourtant 4ème dans le  monde, avec 9.5 millions d’habitants. Elle a su mobiliser les effectifs nécessaires pour soutenir le plan d’industrialisation massive (depuis les années 80) et pour protéger ses frontières. La Chine a bien réussi sa transition démographique et à même bénéficier du bonus démographique (nombre des actifs sur la population totale).

On ne peut ignorer le cas de la démographie de la Russie dans l’échiquier géopolitique actuel : «Depuis la fin de l’URSS, Moscou affirme publiquement l’importance de la variable démographique comme ressort géopolitique. En effet, les pouvoirs russes ont périodiquement exposé leur préoccupation face à leur « hiver démographique », c’est-à-dire une fécondité abaissée. Ainsi, dans une Russie dont le peuplement peut être qualifié de parcimonieux, le président Vladimir Poutine, dans son discours du 8 juillet 2000 sur l’état de la nation, a présenté la dépopulation comme la principale menace pesant sur l’avenir et la sécurité du territoire de la Russie, considérant qu’un pays aussi vaste « devrait avoir 500 millions d’habitants ». Autre déclaration, en mai 2006, Vladimir Poutine a estimé, lors d’une adresse à la nation, que la question de la démographie russe était « la plus grave du pays ». Cette annonce de mai 2006 s’est située dans le cadre de rapports du gouvernement russe sur la « Conception de la politique démographique de la Fédération de Russie.» (Gérard-François DUMONT op cité p. 8.).

À la lumière des exemples ci-dessus qui pourraient être multipliés, il est incontestable que la variable démographique est un paramètre incontournable qui doit être pleinement intégré à toute analyse géopolitique.

En Algérie, nous sommes dans une situation assez complexe caractérisée par deux facteurs : la population est concentrée sur la bande littorale (plus de 78% de la population), un peu sur les hauts plateaux (autour de 18%) et le reste dans le grand Sud. Alors que les superficies de ces trois espaces sont presque l’inverse en part du territoire des proportions de la population. On ne peut laisser perdurer cette situation de déséquilibre démographique de cette grandeur sur notre territoire. Un politique volontariste « musclée » d’aménagement du territoire doit être menée sans délai. Pourquoi ne pas revenir à « un ministère de plein exercice chargé de l’Aménagement du territoire et de la population. » qui sera doté de surcroît de larges prérogatives et de moyens conséquents ainsi que d’instituts d’études et de prospectives territoriales et démographiques.

Enfin, il n’est pas sans intérêt de nous intéresser à la démographie de nos voisins du Sud, le Niger et le Mali en particulier et tout le Sahel en général.Le Niger a aujourd’hui le plus fort taux de fécondité dans le monde, soit 7 enfants par femme, le Mali n’est pas très loin avec 5 enfants, alors que l’Algérie arrive à peine à dépasser le taux de renouvellement démographique (2.1 enfant par femme), soit 2.3. Cette donnée à nos frontières doit avoir une importance capitale dans nos relations avec ces pays, dans notre politique d’immigration et d’émigration, et surtout  dans notre vision de la sécurité de nos frontières.

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