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Mustafa Bakhouche à LA NATION : la normalisation marocaine avec Israël contre le soutien américain

Mustafa Bakhouche, professeur en sciences politiques à l’Université Mohamed-Khider de Biskra, estime que la décision du Front Polisario de revenir à la lutte armée n’est pas une déclaration de guerre, mais plutôt une recherche de la paix à travers la relance du processus du règlement international bloquée. Dans cette interview, il souligne que les positions de certains États du Golfe d’ouvrir des« consulats vides »dans les terres désertiques occupées ne sont pas fondées sur des principes et n’ont pas une relation directe avec la question du Sahara occidental, mais plutôt un rôle joué par des États fonctionnels chargés de faire la promotion du projet américain appelé «la transaction du siècle» et la normalisation avec Israël.
Il ne fait aucun doute que l’impasse dans laquelle se trouve la question du Sahara Occidental tient au fait qu’elle se limite à deux solutions contradictoires. Une logique fondée sur le principe du droit à l’autodétermination adopté par les Nations unies sans pouvoir l’imposer, et une approche marocaine basée sur le maintien du Sahara occidental sous sa souveraineté tout en proposant l’autonomie aux Sahraouis.
L’ancien secrétaire d’État américain et envoyé onusien à la région, James Baker, a proposé de donner l’autonomie tout en organisant un référendum d’autodétermination, mais le Maroc a rejeté cette solution. Le royaume a œuvré, depuis, pour imposer sa logique sur un fait accompli, qui a abouti, après des années de tergiversations, à un retour au langage de la guerre.

Le Front Polisario a décidé, en effet, de suspendre son engagement en faveur de l’accord de cessez-le-feu avec le Maroc. La guerre est-elle le début d’une solution à un conflit prolongé?

Dans le passé, on disait : «Si vous voulez la paix, préparez-vous à la guerre». En raison des tergiversations marocaines et d’une stratégie visant à gagner du temps pour imposer une nouvelle réalité sur le terrain qui change la situation socio-économique et démographique conformément à sa vision, il semble que le Front Polisario est aujourd’hui convaincu que parier sur la voie diplomatique chancelante ne suffit pas.
C’est pourquoi, le choix sahraoui de reprendre le chemin de la lutte armée, ne signifie, en aucune façon un va-t-en guerre, mais une recherche vers la paix en relançant la voie du règlement international qui stagne depuis 1991. Depuis, le Maroc ne cesse de fabriquer de faux problèmes de procédure dans le but de perturber la tenue du référendum. Parmi ces faux problèmes, celui relatif, particulièrement, à la question de la détermination de l’identité des Sahraouis qui ont le droit de participer au référendum. Le Front Polisario veut, par sa décision de mettre fin à l’accord de cessez-le-feu, envoyer des signaux d’alerte à la communauté internationale sur le sort du processus référendaire et les conséquences qui menacent la sécurité et la stabilité non seulement de la région, mais pouvant aller au-delà pour s’étendre au nord de la Méditerranée, au Sahel et au sud du Sahara, des régions déjà fragilisées et vivant de nombreuses perturbations.

Comment expliquez-vous la position de certains pays du Golfe, notamment les Emirats Arabes Unis et le Bahreïn ?

Votre question me conduit à faire référence à un certain nombre d’étranges paradoxes que la région connaît en raison de l’état de bouleversement du système international, ce que les spécialistes des relations internationales appellent le phénomène de transfert et de transformation du pouvoir. D’une force dominante en déclin, dont la force relative diminue progressivement et qui veut continuer à exercer une influence et une force révisionniste en quête de reconnaissance sur la scène internationale. Cette force cherche à dominer et à exercer une influence proportionnelle à sa puissance croissante. Au cours de cette période de transformation et de transition, un vide apparaît et toutes les puissances internationales et régionales essaient d’en profiter pour se repositionner dans la nouvelle phase, et au milieu de celle-ci, nous pouvons être témoins de situations étranges qui ne reflètent ni ne respectent les relations de pouvoir.
C’est exactement ce que vit la région du Moyen-Orient et celle de l’Afrique du Nord. En raison du retrait des puissances régionales traditionnelles influentes et en raison de considérations liées à la tourmente du système international et aux conséquences du soi-disant «Printemps arabe» (Égypte, Iraq, Libye, Syrie), des pays ne possédant pas les éléments nécessaires de la puissance ont fait surface et essaient de jouer des rôles « fonctionnels » beaucoup plus grands que leur taille.
Voici le paradoxe lorsque ces pays deviennent des décideurs du sort de la région à travers leurs interventions (financement) dans des pays (Libye, Syrie, Yémen, …) aux dépens des pays pivots de la région.
En liant votre question à cette idée de bouleversement international et au vide de pouvoir qui en résulte dans la région, je fais référence aux mouvements de l’entité sioniste. Profitant des récentes percées qu’elle a réalisées dans la région du Golfe, à travers les portières des Emirats et de Bahreïn, cette entité parie sur le repositionnement en réorganisant ses relations avec les pays de la région, d’une manière qui réponde à ses aspirations pour les intégrer dans son environnement.
L’Objectif, à travers ces manœuvres, est de se transformer en leader qui commande les efforts internationaux dans la lutte contre le terrorisme, selon sa vision, et, partant, contrecarrer la menace iranienne et l’expansion turque.
C’est ce qu’il essaie d’accomplir pratiquement sur le terrain, après avoir réussi à persuader l’Administration américaine d’adopter l’Accord du siècle, qui à son tour a poussé certaines forces fonctionnelles de la région à le commercialiser et à le promouvoir. Le Maroc a trouvé dans cette atmosphère ce qui lui permet de pratiquer une sorte de troc et même de chantage sur la question du Sahara occidental, surtout après que l’Algérie ait déclaré explicitement par la voix du président Abdelmadjid Tebboune, lui-même, de rejeter ce qu’il a appelé la ruée vers la normalisation.
En échange de son soutien à la position marocaine, qui a pris de nombreuses formes, dont l’ouverture de consulats dans la ville occupée d’El-Ayoun (qui, soit dit en passant, est un comportement illégal qui viole le droit international et les traditions diplomatiques), le Maroc est prêt à normaliser et à reconnaître Israël.
Par conséquent, je pense que les positions de ces pays ne sont pas fondées sur des principes et n’ont rien à voir directement avec la question du Sahara occidental, mais plutôt des pays chargés de commercialiser le projet de l’Accord du siècle et la voie de la normalisation.

Qu’est-ce qui a rendu la position américaine hésitante, contrairement à la position française?*

La position officielle déclarée par les États-Unis est conforme à la légitimité internationale et au droit international et soutient le processus de règlement des Nations unies. Cela dit, la recherche d’une explication sur le manque de sérieux de la position américaine vis-à-vis de la question saharienne, nous mène à souligner :

  • Que le Maroc est considéré comme un allié traditionnel des États-Unis depuis l’époque de la guerre froide. Les États-Unis considéraient le conflit du Sahara comme une forme de guerre par procuration.
  • Que les États-Unis ont passé la main sur la question du Sahara au profit de leur allié de l’Atlantique Ouest, la France.
  • Que le conflit du Sahara Occidental n’est pas une priorité pour le pouvoir américain, compte tenu de l’ampleur de ses intérêts, surtout après la fin de la guerre froide et le recul des considérations stratégiques.
  • Que ce qui distingue la prise de décision américaine, c’est le rôle des lobbies et des groupes de pression capables de l’influencer.

Par conséquent, les États-Unis s’appuient sur «la politique de l’ambiguïté» dans leur position pour s’assurer des bonnes relations avec toutes les parties impliquées dans le conflit, directement ou indirectement…

L’un des pays touchés par le conflit est peut-être la Mauritanie, à laquelle l’option de la neutralité positive a été imposée. Ni pour ni contre ?

La vérité est que la position mauritanienne reflète la complexité de la question sahraouie. Pour pouvoir la comprendre, il faut revenir un peu en arrière. Il faut souligner, d’emblée, que les revendications territoriales du Maroc reflètent sa tendance expansionniste car elles ne se limitent pas au territoire du Sahara occidental mais s’étendent à la Mauritanie et à une partie du territoire algérien, en plus de Ceuta et Melilla, qui sont toujours sous souveraineté espagnole.
En raison de cette tendance expansionniste, la reconnaissance par le Maroc de l’indépendance de la Mauritanie a été retardée de neuf années entières (la Mauritanie a obtenu son indépendance en 1960 et la reconnaissance du Maroc a eu lieu en 1969).
Pour la même raison, le Maroc a attaqué l’Algérie et une guerre a éclaté entre les deux pays en 1963 (la guerre des sables).
Je note également que la position mauritanienne s’est développée positivement et est passée des revendications portant sur «la mauritanité» du Sahara, parallèlement aux revendications marocaines, au retrait du conflit, en déclarant la neutralité.
La position mauritanienne peut être comprise et justifiée en regardant la fragilité de ce pays, sa rareté de ressources et ses faibles capacités, d’une part, et, d’autre part, son empressement à se prémunir des ambitions marocaines à son égard.
Si l’accord tripartite de Madrid du 14 novembre 1975 entre la Mauritanie, le Maroc et l’Espagne prévoyait le partage du Sahara entre le Maroc et la Mauritanie, selon lequel le Maroc acquerrait la région d’Oued Ed-Dahab et la Mauritanie acquerrait la région de Sakia El Hamra tout en assurant la protection des intérêts espagnols dans la région, la Mauritanie, sous la pression des coûts exorbitants du conflit, s’est retirée de la partie qui devait être occupée par les forces marocaines. Depuis, la Mauritanie a maintenu une position de neutralité pour assurer des relations acceptables avec toutes les parties en conflit.

Envisagez-vous l’existence de solutions autres que celles présentées actuellement : le droit à l’autodétermination ou l’autonomie ?

En ce qui concerne la solution du conflit, deux visions s’opposent. La première est celle de la légitimité internationale et du droit international qui a inclus la question du Sahara occidental depuis 1963 dans la liste des Nations unies des territoires non indépendants auxquels le droit à l’autodétermination n’a pas été accordé. Et elle ne reconnaît pas la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. La solution, selon cette vision, passe par l’organisation d’un référendum d’autodétermination. C’est d’ailleurs, une démarche acceptée par le Maroc en 1991, avant de se rétracter en reniant ses engagements internationaux.
La deuxième vision consiste à conférer aux Sahraouis une large autonomie. A travers cette idée, le Maroc cherche à contourner l’organisation du référendum et garantir «une intégrité territoriale non reconnue par la communauté internationale.
La réalité a prouvé, au fil du temps, que les deux visions sont inconciliables. C’est pourquoi, il est urgent de réagir en dehors du discours dominant et loin des deux visions, d’une manière qui permette l’élaboration d’une feuille de route viable qui prenne en compte les droits du peuple sahraoui et réponde aux intérêts et aspirations de tous les peuples de la région dans un processus d’intégration vers la construction d’un Maghreb de sécurité et de prospérité. C’est dans ce sens que devraient intervenir les think tanks, les élites, les universitaires et les chercheurs de la région, notamment en Algérie, au Maroc et en Mauritanie. Mon souhait est qu’ils se libèrent de la dépendance liée aux natures clientélistes des régimes politiques, dans leur traitement de la question du Sahara occidental. Je pense, qu’aujourd’hui, nous devons jeter une pierre dans nos eaux stagnantes pour assurer son mouvement, en pensant aux relations entrelacées et au dépassement des calculs des régimes en faveur d’un espace maghrébin basé sur les valeurs de justice et de liberté et qui garantissent l’intégration et des efforts concertés pour que nous soyons tous libérés de la peur, du besoin et du sous-développement .

Que représente le Sahara occidental pour l’Algérie du point de vue géostratégique ?

Permettez-moi de préciser ici et d’une manière catégorique, que la position algérienne est dictée par des principes qui n’ont rien à voir avec les calculs de profits ou pertes, ou même par des considérations géostratégiques. L’Algérie, qui a obtenu son indépendance grâce à l’application du principe du droit à l’autodétermination après une lutte acharnée contre le colonialisme français, est très sensible aux questions de décolonisation qu’elle considère comme des questions justes. Par conséquent, l’Algérie a soutenu tous les mouvements de libération dans le monde indépendamment de leur appartenance religieuse ou ethnique ou de leur situation géographique avant même leur indépendance. Il suffit ici de signaler, par exemple, que le chef militant contre l’apartheid, le Sud-Africain Nelson Mandela a bénéficié d’un entraînement militaire en Algérie par les soins des révolutionnaires algériens de l’Armée de libération nationale. C’est pourquoi l’Algérie est connue sous le nom de la Mecque des révolutionnaires. L’enjeu n’est donc pas lié aux calculs stratégiques ou aux ambitions territoriales : l’Algérie, Dieu soit loué, a la taille d’un continent et dispose de suffisamment de ressources. Ce n’est qu’une question de principes.

Comment voyez-vous ce que devrait être la position algérienne ?

En fait, cette question m’a été posée à plusieurs reprises. Et parce que je suis convaincu du rôle pivot que peut jouer l’Algérie, compte tenu de la position qu’elle occupe (l’Algérie est le cœur du Maghreb arabe) et compte tenu de son équilibre révolutionnaire, ma réponse a donc toujours été la même, ce que je vais répéter ici. Mais avant cela, je dois d’abord souligner que l’Algérie n’a jamais été partie prenante au conflit et qu’elle l’a exprimé à maintes reprises. Sa position est fondée sur le respect des principes du droit international et de la légitimité internationale, qui affirme le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et le principe de la préservation des frontières héritées de la colonisation. Deux principes les plus importants que l’Algérie a défendus pour instaurer la stabilité et la paix en Afrique et dans toutes les régions du monde qui ont connu le phénomène colonial, notamment en Asie et en Amérique latine.
Je crois que l’Algérie a une responsabilité morale et historique à l’égard de la question saharienne en référence, d’abord, à l’héritage de la glorieuse révolution de novembre qui a permis aux Algériens de se libérer du colonialisme français. Le processus de libération a soumis à la volonté du peuple algérien d’organiser un référendum sur l’autodétermination qui a débouché sur l’indépendance de l’Algérie. Ensuite, en vertu des relations de proximité et de voisinage et de fraternité qui nous unissent avec les deux peuples frères, marocain et sahraoui, l’Algérie doit aller au-delà des approches traditionnelles qui prévalent aujourd’hui et penser à de nouvelles méthodes qui permettent de transformer la question du Sahara occidental en un processus d’intégration qui dépasse la logique des régimes en faveur de la logique aspirée des peuples. Cela se fait en réfléchissant à des solutions innovantes et originales pour relancer de nouvelles voies qui garantissent les droits de tous les peuples de la région et permettent à leurs intérêts d’être interconnectés de manière à créer une nouvelle construction basée sur un nouveau concept d’intérêts qui transcende les loyautés et affiliations étroites.
L’Algérie, de par sa situation géographique et son poids, doit se présenter comme un facilitateur pour développer une nouvelle approche qui permette l’émergence d’un nouveau régime maghrébin qui contourne l’état d’obstruction, de blocage et de désaccords stériles, pour ouvrir la voie à celle d’une intégration dans laquelle tous les peuples de la région bénéficient de manière juste et équitable. La justesse de l’approche algérienne pour la résolution de ce conflit, qui n’a que trop duré, réside dans l’affirmation qu’une solution juste et acceptable au conflit passe inévitablement par le respect du droit du peuple sahraoui à l’autodétermination.

Entretien réalisé par Fayçal Bakhouche et Mohamed Bouazdia

 

*L’entretien a été réalisé avant la dernière déclaration du président américain, Donald Trump

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