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Balade à Alger : la ville qui cache tant de trésors

La capitale de l’Algérie recèle d’ouvrages architecturaux de diverses périodes. Ces édifices somptueux feraient le bonheur des touristes et des amateurs du Premier art s’ils étaient mis en valeur.

Jusqu’à l’an mille de l’ère actuelle, El Djazaïr n’était qu’une petite bourgade ouvrant sur un minuscule port. C’est Bologhine fils de Ziri, fils de Menad de la dynastie berbère Sanhadja originaire d’Achir, dans la province du Titteri, qui en jeta les fondations sur le versant nord-est du mont Bouzaréa.

La cité n’a depuis cessé de se développer par des apports démographiques successifs de l’intérieur du pays et d’autres régions de la Méditerranée. Les Andalous s’y étaient ainsi installés en masse après avoir fui la Reconquista espagnole et les représailles qui ont touché les populations musulmane et juive.

Cet élan a même conduit la marine ibérique à s’emparer de nombreuses villes du Maghreb et d’assiéger la ville d’Alger. Elle s’empara ainsi, vers 1509, de l’un de ses îlots rocheux que ses officiers ont baptisé El Peñon. Salim At-Toumi qui était alors le souverain de la cité déjà florissante et assez peuplée a, sur les conseils de notables et de marchands, fait appel à l’empire ottoman pour l’aider à chasser les intrus qui cherchaient à envahir son territoire.

Istanbul a alors chargé les frères Barberousse de partir à la rescousse d’Alger. Les deux corsaires qui s’étaient déjà battus avec les Espagnols à Jijel et Béjaia ont réussi, en 1529, à les chasser des eaux algéroises. Ils ont cependant pris le pouvoir après qu’Arudj a étranglé Salim At-Toumi pour prendre son trône. La Régence d’Alger fut ainsi créée et devint la puissante Cité-Etat qui faisait régner sa loi sur toute la partie occidentale de la Méditerranée. Cet ordre ne s’est achevé qu’avec la colonisation française, en 1830.

Les murs d’Alger qui a repris son indépendance en 1962 ont été façonnés par toutes ses étapes. «El Mahroussa» (la Protégée), comme l’appelaient naguère ses habitants, est aujourd’hui un amalgame de styles architecturaux divers d’influence orientale et européenne greffés sur une matrice locale.

Depuis une quarantaine d’années, Alger vit aussi des changements rapides. Les grues et les pelleteuses ont profondément redessiné son visage est agrandi son périmètre qui s’étend maintenant à une périphérie auparavant verdoyante et champêtre.

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Le vieil Alger, la Médina, que tout le monde appelle à tort la Casbah était, à la veille de la colonisation, une ville moyenne peuplée de quelques dizaines de milliers d’habitants. Selon diverses sources, son centre névralgique se trouvait dans sa partie inférieure et s’articulait autour d’une longue artère marchande allant de Bab El Oued à Bab Azzoun. Cette zone située au pied du « Djebel » (la montagne) était désignée alors par « El outta » (la vallée ou le plateau), mais elle a été rebaptisée « Basse Casbah » par les français, par opposition à la Haute.

La rue principale concentrait la plupart des commerces. Les plus populaires se trouvaient aux portes de la ville et les plus luxueux (ceux de l’or et de la soierie, par exemple) au centre.

L’autre grand axe montait de l’actuel quartier de la marine (près de l’amirauté) et regroupait les foundouks, des auberges où les marchands venus de l’intérieur du pays ou de l’étranger logeaient.

Les deux avenues formaient une intersection au niveau de la « Djenina » (le jardin) autour de laquelle se dressaient la plupart des bâtiments administratifs tels que « Dar Esseka » (la maison de la frappe de la monnaie), « Beyt El Mel » (sorte de Trésor public), le « Diwan » (l’équivalent d’un mess des officiers.)

El Djazaïr, « El Bahdja » (la Bienheureuse) ou encore « El Mahroussa » était à l’époque entourée d’un mur de trois kilomètres, doté de plusieurs portes que l’on fermait à la tombée de la nuit. Selon l’historien Omar Hachi, ces accès étaient au nombre de sept mais nous en connaissons que cinq : Bab El Bhar, Bab Eddzira, Bab Azzoun, Bab Djdid et Bab El Oued. «Ce que l’on nomme aujourd’hui le Bastion 11 est en fait Bab Sidi Ramdane qui est la sixième porte. La septième n’était pas empruntée par les piétons. Elle a été construite dès l’édification de la citadelle par Kaïd El Djouyouch (le chef de l’armée) pour un usage militaire.»

Une ville édifiée par les Ziride et perfectionnée par les Andalous

Les clés de Bab Azzoun étaient conservées par l’Agha et celles des autres portes étaient aux mains de Kaïd El blad (le gouverneur). Les portiques de la Médina ont tous été détruits par l’armée française. Il ne subsiste aujourd’hui que quelques morceaux des fortifications qui la protégeaient. On peut voir l’un des pans à Bab Djedid. Celui-ci a été d’ailleurs percé par une trouée dès le début de la colonisation.

La Médina fut édifiée par les Algériens et perfectionnée par l’apport des Andalous expatriés d’Espagne. Ceux qui croient qu’elle fut fondée par les Ottomans se trompent. « Les derniers Andalous à venir à Alger sont les frontaliers, indique Omar Hachi. Ils sont arrivés ici en 1605. C’était pratiquement la dernière vague, puisque la première a commencé, depuis les Baléares, en 1270. Elle concernait surtout les Juifs. Vous connaissez aussi celle de 1492. En fait, les Turcs étaient surtout des militaires.»

Ce que l’on nomme aujourd’hui Alger est en fait la ville européenne fondée par les colons. Son centre-ville commence à proprement parler de la place de la Concorde (anciennement le Champ de manœuvres, puis place du 1e mai). Autour d’un rond-point à jet d’eau, quasiment tous les mouvements architecturaux importés par la colonisation sont présents. Du classique, au néoclassique, au moderne : Près de deux siècles d’architecture vous regardent.

La topographie de la ville se caractérise par une étroite bande plate coincée entre la montagne et la mer, un relief qui la transforme aux heures de pointe un cauchemar pour la circulation automobile. Le problème s’est posé dès les années 1950 et plusieurs solutions ont été imaginées pour la désengorger mais en vain. Parmi ces tentatives, des téléphériques permettent, à certains endroits, de relier le bas de la ville à ses hauts. En plus d’être pratiques, ces cabines donnent un point de vue saisissant sur Alger.

La mer n’est pas encore utilisée pour raccorder Alger à sa banlieue. Cette option est, toutefois, de plus en plus envisagée. Le cabotage côtier commence à s’imposer, quoique timidement, comme une nécessité pour desserrer l’étau de l’encombrement routier.

La trémie qui passe sous la place Addis-Abeba est un autre exemple de ces efforts pour fluidifier le trafic vers les quartiers haut-perchés d’El Biar, du Golfe et d’Hydra. A cet endroit, on peut admirer des bâtiments néo-mauresques de grande facture qui date de la période coloniale : le British Council et sa belle église anglicane et, un plus haut, l’hôtel El Djazaïr, ex-Saint-George, qui abrite un somptueux jardin botanique.

En contrebas, de part et d’autre de l’avenue Franklin Roosevelt, plusieurs constructions de même style rappellent l’Andalousie : Le Palais du peuple, le siège de l’Observatoire des droits de l’homme, celui de l’Union maghrébine et le musée des antiquités, au sommet du parc de Galland, aujourd’hui de La Liberté.

Le style néo-mauresque a fait son apparition à Alger au début du XXe siècle. Ce mouvement avait pour souci de s’inspirer de l’architecture musulmane. Plusieurs édifices d’une grande beauté ont été ainsi érigés dans le tissu de la ville européenne comme une reconnaissance tardive du patrimoine culturel et identitaire du pays étouffé, pendant des décennies, par le style haussmannien.

Parmi les plus beaux fleurons de cette école, on peut citer la Grande poste, la wilaya d’Alger, la Dépêche, les Galeries Algériennes transfigurées récemment en Musée d’art moderne d’une fadeur et d’une froideur indicibles. D’autres belles pièces de cette architecture sont visibles en haut du boulevard Mohamed V et à la rue Victor Hugo.

Cependant, le centre d’Alger est surtout un agglomérat éclectique de genres architecturaux européens où le classicisme du XIXe siècle et le néoclassicisme du XXe côtoient le modernisme des années 1950.

Cette diversité est surtout visible au 105 rue Didouche Mourad. Les créations de différentes périodes, allant du dernier quart du XIXe siècle à la fin des années 1950, cohabitent et parfois s’emboîtent les unes dans les autres, sans aucun problème esthétique ou fonctionnel.

 

Un paradis pour les créateurs du style Art-déco

Alger était aussi le paradis des créateurs de l’Art-déco comme Xavier Salvador, architecte sévillan né en 1898 et mort à Toulon en 1967, qui avait édifié un magnifique bâtiment à l’embouchure de la rue Claude Debussy. Un immeuble dont il a estampillé la façade d’une splendide mosaïque à moitié détruite aujourd’hui. Non loin de là, près de l’Ecole des Beaux-arts, un autre fruit délicieux de cette tendance surplombe la baie et offre un balcon sur le célèbre musée du Bardo.

Dans un autre registre, le style industriel inspiré de Gustave Eiffel a laissé de nombreux ouvrages tels que le marché couvert de l’ex-rue Ampère qui rappelle ceux de la rue Bouzrina et d’El Harrach.

La même artère débute d’ailleurs par un immeuble inclassable que jouxte une maison encore plus surprenante ; une incursion de l’art architectural vénitien devenu, avec le temps, une partie intégrante du moule algérois.

La rue Didouche Mourad, ex-Michelet, était habitée, à la fin du XIXe, par de riches vignerons qui avaient donné libre cours à leur exubérance. C’était l’époque où les occupants européens avaient acquis la certitude de la pérennité de leur présence en Algérie et voulaient se doter d’une capitale capable de rivaliser avec les plus belles cités d’Europe.

La ville coloniale est la résultante d’un choc militaire et de civilisation. Dès que l’armée française a consolidé ses positions, l’administration a volontairement isolé la Médina de la mer et des terres. Une grande place d’armes (aujourd’hui la place des Martyrs) et de grands boulevards ont totalement coupé le vieil Alger de son espace vital. Plus tard, l’autorité d’occupation confiera à la société anglaise de Sir Morton la construction d’un front de mer fortifié qui deviendra un des ouvrages les plus emblématiques d’Alger. L’autre chef-d’œuvre est sans conteste le Foyer civique (l’actuel siège de l’UGTA), un bâtiment unique et d’une très grande facture esthétique et technique. Certains avancent même que ses colonnes furent calculées au centimètre près sur celles de l’Acropole d’Athènes.

 

Du classicisme au modernisme

Alger possède également une exquise devanture maritime. En témoigne le chapelet de joyaux érigés sur les bords du boulevard Che Guevara, des rues Boumendjel, Abane Ramdane et Ben M’hidi. Les Atlantes, les cariatides, les Vénus et les autres figures mythologiques en haut et ou bas-reliefs qui ornent leurs façades en font de véritables œuvres d’art. Il n’y a qu’à lever la tête pour admirer ces moulures qui parfois s’élèvent au rang de sculptures mais dont plus personne ne se soucie.

Les immeubles de Didouche Mourad ne sont pas en reste. Dès l’entrée, leurs portes, en chêne massif ouvragé, imposent le respect. Modèles uniques, aucune d’elles ne ressemble à l’autre. Il faut aussi lever la tête pour regarder les très beaux balcons en fer forgé et les façades extraordinaires notamment aux numéros 24, 26, 28, 30.

L’empreinte de l’école du Corbusier, même si lui n’y a rien construit, est également visible à divers endroits d’Alger. Exemple : L’alignement des fameux balcons-jardins de Bab El Oued, l’Aéro-habitat du Télémely et l’immeuble qui jouxte le lycée Saint-Elisabeth. D’autres constructions d’influence moderniste parsemées ici et là : Le Maurétania, les groupes du Premier mai, les barres des Dunes et d’El Harrach, ou l’étonnant immeuble-pont de la rue Burdeau.

Diar El Babor de Belcourt (les maisons bateaux comme les appellent les Algérois) qui possèdent des ouvertures sur des rues attenantes sont un échantillon représentatif de cette tendance.

Alger est également un chef-d’œuvre de concentration et de rationalisation de l’espace. Dans un territoire en mouchoir de poche, environ cinq hectares, on peut compter de nombreuses institutions, banques, hôtels, commerces et logements se côtoient. Les espaces verts ne sont pas en reste. La ville abrite de splendides jardins comme celui, en escaliers, de l’esplanade du Palais du gouvernement, le merveilleux parc de Galland qui raccorde le Télemly au Sacré-Cœur, le Parc Moreillon, le Saquare Port-Saïd, le Parc Sofia en sont de magnifiques représentants.

La promenade dans la ville européenne s’arrête ici, mais elle n’a couvert qu’une petite partie de la métropole. Tant de trésors restent à découvrir et à décrire dans les dédales de cette ville capricieuse et cachotière.

Mohamed Badaoui

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