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Galerie d’hier et d’aujourd’hui : Djamila Bouhired, l’icône  de la liberté (Portrait)

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Par Madjid Khelassi 

Comment peut-on être une icône, quand on se fige dans un silence de statue? Comment peut-on s’appartenir, quand toute l’Algérie s’identifie en vous ? Comment rester de marbre, quand votre nom est scandé par un tsunami nommé Hirak?

Comment croire à la vie quand on a été condamné à mort à 22  ans. Comment se défaire d’une aura,  quand le mythe a toujours congédié la réalité ?

Djamila Bouhired, héroïne de la guerre d’Algérie, ne pourra  jamais répondre à ces questions, qui s’évanouissent dans les strates intimes de sa vie hors du commun.

Casbah d’Alger, 9 avril 1957 au matin, une jeune femme est blessée par une patrouille du 9régiment des parachutistes français. Ne pouvant fuir, elle est arrêtée par les militaires français. La balle qui la blesse lui pénètre dans le dos, lui fracasse la clavicule et lui pénètre le sein gauche. Transportée à l’hôpital puis interrogée dans les 4 heures qui suivent sa blessure, elle est transférée dans un endroit inconnu pour être  interrogée. Elle est torturée avec une telle  férocité  qu’elle en délirera des années après. Cette jeune fille s’appelle Djamila Bouhired…L’histoire est en marche !

Énigmatique  destin, que celui de cette jeune fille qui naquit en 1935, dans une vieille famille algéroise de la casbah, et dont les origines lointaines s’étaient tricotées du côté de Cavallo (Actuelle El Aouana dans la wilaya de Jijel).

Famille de la classe moyenne, disait-on et  dont le père Aami Omar, mandataire de profession, excellent joueur de foot mais surtout très pointilleux, sur l’éducation de l’unique fille de cette famille, qui comptait 4 garçons. Nouredine, Lyes, El Hadi et Aziouez.

Djamila, jeune fille en fleur et bon parti comme on disait naguère, était promise au sort d’épouse et de mère de famille comme le voulait la tradition.Lycéenne, puis étudiante, passionnée de couture et de mode, elle fut petite main dans une succursale de  Jacques Fath à Alger.

Nièce d’un militant de la cause nationale,  Mustapha Bouhired, elle s’imprégna in situ à son contact, du feu naissant de la révolution algérienne. D’abord jouant les utilités, entre autres en faisant  le messager, en rédigeant  des lettres, en accueillant  dans la vieille cité, les sympathisants de la cause nationale qui pouvaient s’égarer dans la Casbah d’Alger.

De fil en aiguille ou si on ose dire chemin faisant, elle sauta le pas : au lieu d’attendre gentiment  son sort de fille voguant sur l’itinéraire cocooné  du mariage, elle vira de bord et se fiança à la révolution.

Elle rejoint le combat libérateur en 1956. Officier  de liaison de la zone autonome d’Alger,  membre du réseau « bombes», elle recruta la fine fleur des filles algéroises, qui devinrent selon le générique de la soldatesque coloniale… «Les poseuses de Bombes ».

Février 1957, nous sommes en pleine Bataille d’Alger. La France coloniale, humiliée en Indochine voulait à tout prix se refaire une santé en Algérie.  Pour cela elle engagea les troupes les plus cotées  et les plus aguerris, encadrés par des officiers voulant effacer l’affront de Dien-Bien-Phu. Presque 10 000 hommes furent engagés dans la Bataille d’Alger. Massu, Salan, Zeller, Challe, Jouhaud,  Bigeard, officiers supérieurs  d’un empire colonial en voie d’extinction, mais toujours convaincus de l’éternité d’une Algérie française, plongèrent tête première dans la Bataille d’Alger. Siège, arrestations, torture, tuerie de masse, bleuïte, déportations et tutti quanti.

En ce matin du 9 avril 1957, les paras de Massu mirent la main sur celle qui allait devenir leur bête noire, leur mauvaise conscience, le miroir de leur sauvagerie, le reflet de leur  inhumanité.  Remise au capitaine Graziani, fin limier de l’interrogatoire, elle le mènera en bateau en lui fourguant des adresses où tout fit chou blanc. «Fumier» lui répondait-elle quand la séance d’interrogatoire virait à l’indignité.

Djamila Bouhired sera jugée pour avoir déposé une bombe dans le Hall de l’immeuble Maurétania. Et sur d’autres accusations. Elle dira en substance au juge qui lui fixa la date de son procès : «je ne peux pas – après les tortures que j’ai subies, pire que la mort parce qu’humiliantes, de la part d’officiers français (civilisés), dans un hôpital français puis dans les locaux de l’armée française – ne pas dénier à un tribunal français, non seulement la compétence mais le droit moral de me  juger ».

Elle sera  5 fois condamnée à mort. Son exécution est stoppée par une  campagne médiatique menée par Jacques Vergès et George Arnaud.

Le livre d’Henry Alleg,  «La Question», alertera  l’opinion publique internationale sur la torture et les mauvais traitements infligés aux indépendantistes algériens.

Youssef Chahine lui consacrera un film culte, Fairouz, une chanson qui fera date. Mais  devant le tollé mondial sur sa condamnation à mort, elle est finalement graciée puis libérée en 1962, année de l’indépendance de l’Algérie.

 Juillet 1962. Et l’indépendance vint. Liesse, youyous, jumelage en treillis  et en mitraillettes de la ville d’Oujda avec Alger. Ben Bella parade, nuages de l’été 62,  guerre des sables en 1963 avec le Maroc.

Juin 1965, Boumediene dépose Ben Bella  via un coup d’État. Les libertés prennent la couleur d’un suaire.  Elles  sont définitivement rédigées  sur les carnets de l’autocratie pour les  futures catacombes de la démocratie.

Mars 2019, la rue algérienne résonne du chant d’une liberté dégoûtée par l’éternité  des simulacres.  La révolution du sourire est née. Djamila est de la partie.

C’est presque la lune reluquant du côté du  soleil, une liberté nouvelle déferlant  sur le pays. L’allégorie menteuse s’effaça soudain devant l’évidence d’une liberté à arracher.  «  Ne les laisser pas  voler votre révolution » dit-elle aux foules qui marchaient à ses côtés.

Bouteflika cède sous la pression de la rue. Sa clique est mise hors-circuit. Et son honneur perdu à jamais. L’inéluctabilité  de la disparition d’un système honni, est  stoppée par un invité que personne n’attendait : une crise sanitaire mondiale  vint au secours d’un radeau-système en perdition. Ce n’est que partie remise, dit Djamila !

Dissertant sur les manifestations  du printemps et de l’été 2019, auxquels Djamila Bouhired a pris part ,  le journal  français «Le Monde» en date du 18 août 2019, écrit :   «Il est des êtres dont le personnage est plus fort que la personne, des êtres entrés dans l’histoire avant même de devenir adulte. C’est le nom  de Djamila Bouhired, qui résume à lui seul la guerre d’Algérie, la Bataille d’Alger, la torture, l’infamie, l’héroïsme, la liberté. La vie qui est injuste n’a jamais distribué d’une façon égale ses épreuves et ses bienfaits. Certains ont, en trop, sans jamais avoir rien demandé. Un quart de la vie de Djamila suffirait à remplir plusieurs existences. Peut-elle, eut-elle préféré ? On ne le lui a pas demandé. De toute façon, elle n’a jamais été du genre à se confier, ni à raconter ses souvenirs. Djamila Bouhired est en béton armé, elle  est sans faille et sans reproche. Elle est au sens propre, une légende vivante, une énigme». Tout est dit ? Bien sûr que non !

1962- 2019 : 57 ans après, l’icône de la révolution algérienne revient sur les lieux (les rues d’Alger)) de son combat. Si Djamila est là, c’est qu’une 2e révolution est en marche, pas une simple révolte, disent les anciens. Car comment s’appeler Djamila et ne pas avoir  incarné hier, le plus beau combat contre la pire des entreprises coloniales et  le refaire aujourd’hui contre un système «confiscateur» éhonté des libertés? La colombe de la révolution de novembre ne revient-elle pas  pour porter assistance à ses enfants et petits enfants  pris dans les rets  d’un système inique ?

La pellicule fait un réwind.  1963, Ben Bella embastille Aït Ahmed. Djamila interpelle Ben Bella quant à toute idée de trucider un des symboles de la révolution. Ben Bella acquiesce.

1965, Boumediene dépose Ben Bella…elle court chez le nouveau maître des céans putschistes, et obtient de lui que Ben Bella ne sera pas liquidé. Pourtant Dieu sait combien elle ne partageait pas les idées du président déposé. Mais  chez elle, le supplément d’âme portait toujours secours à autrui.

Pendant la révolution du sourire, le Hirak, cette effigie d’une autre Algérie,  elle publie le 13  mars 2019 , dans une tribune, une lettre adressée à ses « chers enfants et petits enfants»,  dans laquelle, elle les remercie de lui avoir permis de vivre la résurrection de l’Algérie combattante, que d’aucuns avaient enterrée trop vite. Elle  évoque les duperies de l’été 62. La légitimité historique usurpée par une coalition hétéroclite formée autour du clan d’Oujda. Clan qui élimina tous les opposants à ses idées.

Mars 2019, un printemps de tous les espoirs, rassembla l’icône et ses petits enfants dans une relation fusionnelle. En ce printemps paré de Hirak, ce mouvement qui stratifia un pays tombé dans une dèche morale qu’on croyait irréversible, une femme vint…Et tout un pays se mit à espérer. Car il se reconnut vite en elle.

Elle revenait de loin, revenait d’un blues qui l’habitait depuis 1962.  Simple, percutante, passionnée, aux antipodes des assoiffés du pouvoir, et  des postures frimeuses que donnent le koursi, ce piédestal de toutes les infamies.

Mars 2019 .Et la rue algérienne s’embrasa, frémit, s’écorcha le gosier via des youyous si proches de la liesse de l’indépendance. La peur venait de définitivement changer de camp.

Et la révolution, grand vertige de l’existence de son icône absolue, fut portée par  la rue comme l’avait demandé Ben M’hidi. Merci Djamila de nous avoir introduit dans ton rêve…disait une pancarte.

Le rêve d’une Algérie qui sera tout autre, de celle qu’on nous a confectionné depuis 1962. Un ange est passé. Cette fois-ci, il est féminin. C’est celui de la fiancée de la liberté, venue nous  réapprendre à aimer l’Algérie.

M.K

 

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