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Décryptage : ce que révèle la coupure d’Internet durant le bac

Chaque année, il est devenu de coutume de couper Internet durant les épreuves du baccalauréat pour empêcher la fraude. Mais le syndrome de la fermeture touche d’autres aspects de la vie en Algérie.

Si le monde est devenu un village grâce au développement des technologies de l’information, l’Algérie ressemble plutôt à un hameau isolé. En dépit de 2,5 millions de kilomètres carrés et de 45 millions d’habitants, le pays demeure fermé à la nouveauté et méfiant vis-à-vis de l’extérieur.

Les autorités ont même instauré, depuis des années, la tradition de couper Internet durant les épreuves du baccalauréat pour prévenir la fraude et la fuite des sujets. Ils surveillent de cette façon quelque 730 000 candidats (soit 1,6% de la population) et punissent plus de 44 270 000 (les 98,4% restants).

Cette pratique suppose que tous les lycéens sont de potentiels aigrefins et escrocs qui trichent depuis leur jeune âge au lieu de préparer leurs examens. Or, on sait que, comme dans tous les aspects de la vie, les personnes malhonnêtes forment une minorité sinon le monde sombrerait dans le chaos et l’immoralité.

Le baccalauréat est le sésame pour intégrer l’élite. Ceux qui réussiront le passage et poursuivront leurs études seront les futurs dirigeants du pays. Ils tiendront, s’ils trouvent un travail, les manettes des entreprises, des laboratoires et des institutions. Destinés à devenir des enseignants, chercheurs, ingénieurs, médecins, économistes, historiens, bref des cadres dans toutes les spécialités, ils sont, en principe, pétris de valeurs scientifiques et éthiques, non de vices comme un ramassis de voyous. Les voyous sont à chercher à l’intérieur et dans la périphérie immédiate du système éducatif. Les indélicats qui volent les sujets pour les vendre à prix d’or sont, en effet, facilement identifiables puisque la chaîne de production et de transmission des épreuves est vieille de six décennies.

Si le ministère de l’Education nationale n’arrive même pas à sécuriser ses données, a-t-il le droit d’en faire payer les conséquences à toute la communauté nationale ? De plus, quel message diffuse-t-il en suggérant que les étudiants sont tous porteurs du germe de la duperie.

Culture de la fermeture

La coupure volontaire d’Internet est symptomatique d’une culture de fermeture et de barrage à tout risque ou nouveauté. Cette disposition psychologique n’est pas l’apanage des seules autorités. La société elle-même censure et rejette ce qui lui parait inhabituel ou décalé par rapport à sa vision du monde. Il n’est pas rare aussi que des citoyens en colère coupent la route par des débris ou des pneus enflammées pour manifester leur mécontentement. Les Algériens aiment en outre se barricader derrière des barreaudages en fer forgé qu’ils installent aux fenêtres et aux balcons pour se protéger des vols et de probables regards indiscrets.

L’Algérie n’est pas un pays cosmopolite. Le tourisme étranger y est pratiquement inexistant contrairement à ses voisins, le Maroc et la Tunisie. Même les résidents qui y travaillent vivent en vase clos, s’aventurant très peu dans les lieux publics fréquentés par les autochtones. Leurs déplacements entre les wilayas est d’ailleurs surveillé et parfois soumis à des autorisations sous prétexte de possibles attentats ou enlèvements qui pourraient les cibler. Le souvenir de la décennie noire où plusieurs expatriés ont été tués est encore frais dans les mémoires.

Évidemment, il existe d’autres raisons qui peuvent expliquer les entraves appliquées aux étrangers pour restreindre leur libre circulation dans le territoire. L’Algérie fait partie des pays qui n’accordent que difficilement le bénéfice du doute à ceux qui viennent d’ailleurs. Aussi, les ressortissants de tous les États qui réclament un visa aux Algériens, y compris les Européens et les Américains, sont soumis à une formalité similaire.

La fermeture est perceptible aussi à l’échelle des croyances. La Constitution algérienne reconnaît certes la liberté de culte et de conscience mais dans les faits les autorités sont souvent intervenues pour interdire les rassemblements paroissiaux d’autres religions non agréées ou des rites jugés éloignés du dogme malékite. Les adeptes de l’Ahmadiya ou de certaines confréries chiites ont été ainsi pourchassés et interdits de pratique. Il en va de même des croyants protestants qui communiaient dans des chapelles clandestines.

Les journalistes étrangers font aussi les frais de la politique de filtrage. Ils sont souvent interdits d’entrer au territoire si leur organe est soupçonné d’hostilité envers le pays. France 24 vient de perdre son agrément tandis qu’El Jazzera a été réadmise après de longues années de bannissement. De toute façon, les médias audiovisuels possédés par des Algériens ne sont pas encore autorisés, mais seulement tolérés comme des entreprises de droit étranger ayant un bureau en Algérie.

Depuis quelques mois, la fermeture a touché la distribution de l’eau. La sécheresse est invoquée par les pouvoirs publics comme principale raison à cette panne de l’alimentation mais, au fond, c’est le manque de prévoyance qui explique la faiblesse de l’investissement dans le secteur.

Enfin, pour réduire les accidents de la circulation, les responsables locaux n’ont pas trouvé mieux que de multiplier la pose sur les chaussées de ralentisseurs et de «dos d’ânes» sans y appliquer les normes.

En un mot, l’Algérie souffre du syndrome du verrou qui empêche le lâcher de tout son potentiel quitte à déroger aux vieilleries et aux traditions.

Mohamed Badaoui

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