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A la veille du ramadan : un vent de panique gagne les esprits

Embouteillages monstres, ruée vers les magasins, les souks et les marchands ambulants. La fièvre acheteuse a animé ces deux derniers jours le pays, en particulier Alger. On se serait crus à la veille d’une guerre ou d’un cataclysme majeur. L’effet psychologique du ramadan a opéré. C’est un mois qui révèle la véritable nature des Algériens.

Avec avidité, les habitants de la capitale ont pris d’assaut les commerces pour remplir le couffin de la première semaine du mois du jeûne. Les étals de légumes et de volaille, les boucheries, les boulangeries, les épiceries, étaient assiégés par une foule acheteuse. En période de crise, l’image est surréaliste.

Il faut dire aussi que les annonces de pénurie, de manque de liquidités et d’un pic de cherté des produits ont créé un climat anxiogène. Presque inconsciemment, les consommateurs ont été pris par une sorte de panique comme si le stock alimentaire national allait du jour au lendemain se vider.

Cette attitude collective révèle la partie la plus intime de la personnalité nationale. Les Algériens forment un peuple inquiet et méfiant. Leur mémoire est peuplée d’histoire de privation, de manque et de fourberies organisées. Un siècle et demi de colonisation avec son lot de famines périodiques et de pauvreté chronique laisse certainement des traces indélébiles. Après l’indépendance, l’expérience d’un socialisme nassérien, sous Ben Bella, puis quasi stalinien, sous Boumediene, ont imposé une longue tradition d’austérité et de rareté.

Chadli Bendjedid a essayé à partir des années 1980 de gagner les cœurs de ses compatriotes et de consolider ainsi son pouvoir en inondant le marché de produits jusque-là quasi interdits à l’importation tels la banane, le kiwi et d’autres gâteries. Ces fruits exotiques étaient inaccessibles au commun des mortels. Il fallait parfois se déplacer à l’étranger pour en acheter. Mais le gaspillage qui a accompagné le Plan anti-pénuries a vidé les caisses de l’Etat qui n’allaient pas tarder à pâtir de la dépréciation des hydrocarbures et de la baisse concomitante du dollar.

Du jour au lendemain, l’Algérie était devenue pauvre et surendettée. Bien sûr, ce sont les couches populaires qui ont le plus souffert de l’effondrement de l’économie. Elles l’ont fait savoir lors des émeutes des premiers jours d’octobre 1988.

Quelques années plus tard, les autorités ont dû signer un Plan d’ajustement structurel sévère et mis ainsi sur la paille des millions d’Algériens. Le pays sombrait alors dans la violence terroriste et les destructions, le long d’une nuit qui a duré une décennie.

Dilapidation de 1500 milliards de dollars en quelques années

L’ère Bouteflika s’est accompagnée du relèvement des prix du pétrole et du gaz. Le Trésor public a repris des couleurs et les citoyens ont senti l’étau quelque peu se desserrer. L’Etat a repris sa folie dépensière et a réussi à dilapider 1500 milliards de dollars en quelques années. Il est vrai que le niveau de vie de la population s’est amélioré, quoique, artificiellement. Les montants colossaux engloutis dans des équipements non productifs, créateurs de corruption au lieu de richesses, ont cependant ramené une nouvelle fois l’Algérie à la pauvreté, à l’austérité et à la fonte de ses moyens de paiement.

Les réserves de change se sont évaporées, et il a fallu recourir à la planche à billets pour payer les salaires des commis et maintenir la machine bureaucratique en état de fonctionnement. Le 22 février 2019, des marches gigantesques ont déferlé sur le territoire national pour réclamer le départ des responsables de la catastrophe et l’arrêt des pratiques mafieuses qui ont ruiné le pays. Elles durent jusqu’à aujourd’hui.

A l’instar d’un cercle tantôt vicieux, tantôt vertueux, le Hirak a renouvelé l’énergie intellectuelle de la population, poussé le système rentier dans ses derniers retranchements mais, en retour, paralysé l’activité économique. Et comme si cela ne suffisait pas, voilà qu’une pandémie se déclenche, fige le monde, et aggrave la situation de l’Algérie.

Hébétés, les Algériens ne comprennent pas le nouvel épisode de paupérisation

Plusieurs fois de suite en quelque mois, le dinar est dévalué enflammant dans sa dégringolade le taux d’inflation. Hébété, les Algériens ne comprennent toujours pas qu’ils sont aspirés résolument vers un nouvel épisode de paupérisation. La montée des prix des produits alimentaires sur le marché mondial s’est rapidement répercutée sur la facture dont ils s’acquittent à la supérette. De plus, la pénurie d’huile de table s’installe et fait craindre la disparition des fritures, tellement appréciées par la gastronomie locale.

La pénurie, c’est aussi le manque d’argent dans le réseau postal. Depuis des mois maintenant, les travailleurs et les retraités doivent passer des heures devant les guichets pour retirer leur maigre solde. Hier, certains bureaux de poste à Alger ont décidé de se mettre à l’arrêt dans un mouvement qui ressemblait à une grève sauvage. Si l’institution fait défaut plus longtemps, il y a des raisons de s’inquiéter.

Dans tous les cas, ce ramadan est unique. La puissante prise de conscience politique acquise durant les deux dernières années, la mobilisation de la rue et le déballage brusque, à ciel ouvert, des menées au sein des lieux clos du pouvoir et sa périphérie ont considérablement accru la colère citoyenne.

Un déficit dans les budgets des familles pour couvrir les frais du mois sacré qui, de surcroît, sera suivi par l’Aïd El Fitr aura des conséquences qu’on peut redouter. C’est donc une période test qui s’amorce. Elle dévoilera la résilience ou non des Algériens vis-à-vis de la forte pression des événements qui les attendent. On saura à l’issue de l’épreuve du ramadan si le pacifisme est devenu un projet de société national ou si le caractère ombrageux de ce peuple prendra le dessus.

Dans tous les cas de figures, la gestion de la population par des cycles de privation suivis de détente est tombée définitivement en obsolescence. L’artisanat politique, l’assistanat, le populisme et l’excitation des instincts grégaires des administrés pour gagner du temps et avoir la paix sociale sont des modes de gouvernements archaïques.

Sans une politique de développement réel, sans des solutions modernes à des problèmes qui s’accumulent depuis des décennies, le boomerang de l’instabilité ne cessera de revenir. Il transformera les Algériens d’un peuple inquiet en un peuple inquiétant.

L’Algérie n’a jamais autant tremblé sous des vents contraires comme elle le fait aujourd’hui. Il faut espérer que le ramadan soit le mois de la piété, de la miséricorde et la merci comme aiment à le répéter les imams car n’incite en ce moment à la gaieté.

Mohamed Badaoui     

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