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A cause d’un environnement décourageant : la mort lente des libraires (Dossiers)

Elles se portaient mal depuis quelques années, voilà que la pandémie du Covid-19 s’installe dans la durée et étouffe plusieurs d’entre elles. En Algérie, leur situation est aggravée par le manque croissant de lecteurs et par l’absence d’une politique qui favorise l’amour des livres.

Une vieille libraire qui ferme dans les pays où la lecture est une tradition ancrée constitue un événement douloureux. C’est un pan de la culture qui s’écroule, un petit monde qui ouvre sur le grand univers des idées et du savoir.

Dans la capitale française, la fermeture ces derniers jours de la librairie Gibert jeune, un établissement créé il y a plus d’un siècle, a provoqué un choc dans tout le pays. Les Parisiens, en particulier, considèrent qu’une partie d’eux-mêmes et de leur culture vient de disparaître avec la disparition de cette institution. Tous les média en ont parlé et regretté la perte.

En Angleterre, en 2018, une chaîne humaine de solidarité s’était formée pour aider la petite librairie October Books de Southampton à déménager. Les habitants de la ville ont ainsi déplacé les livres, de main en main, pour faire économiser au propriétaire les frais du transport.

Au Brésil, la même année, l’industrie de l’édition a appelé les citoyens à acheter des livres pour sauver de la faillite Saraiva et Livraria, les deux principales chaînes de librairies du pays.

Il y a deux ans, les éboueurs de la ville turque à Istanbul ont collecté des livres dans les poubelles pour créer une  bibliothèque d’environ 6000 titres. Ce fonds contient maintenant des œuvres allant de la littérature à la politique.

En Algérie, la plus vieille librairie du pays encore en exercice, la Maison des livres d’Alger, sise rue Ali Boumendjel, est en train d’être liquidée dans l’indifférence générale. Cet établissement fondé en 1931, il y a donc 90 ans, ne survivra pas, sauf miracle, à Abdelhamid Oustani son gérant historique, décédé quelques mois plus tôt. Le défunt y avait longtemps travaillé avant que ces employeurs, les frères Soubiron, la lui cèdent. En dépit des aléas du secteur et de sa faible rentabilité, l’homme maintient son activité et la développe en incluant une imprimerie au sous-sol du magasin. Mais les héritiers n’en veulent plus apparemment puisque le fonds de commerce est à vendre ou à louer comme l’indique les banales affichettes collées sur ses murs. Les repreneurs seront nombreux eu égard à l’emplacement de la boutique qui va certainement accueillir un business plus lucratif  changer de nature à l’instar de la librairie, encore plus vieille, qui se trouvait à quelques mètres de là.

Si l’on se fie à un chiffre avancé, il y a de cela quelques années, par Hassan Bendif, ancien directeur général du Centre national du livre, le nombre de librairies en Algérie ne dépasserait pas la quarantaine. On ne parle évidemment pas des papeteries et de points de vente où, en plus d’autres articles, on peut acheter des livres. Les librairies professionnelles sont celles qui tirent 70% de leurs recettes de la vente des ouvrages, comme le précise ce responsable.

Investir dans une librairie aujourd’hui relève plus du militantisme culturel que de l’appât du gain. Durant les quatre dernières décennies, ce type de commerce révélateur du niveau intellectuel des populations se réduit à vue d’œil. Les seules oasis qui résistent à la désertification se trouvent dans les grandes villes, en premier lieu Alger. Les nouvelles cités dortoirs construites ces dernières années n’en possèdent pas et à l’intérieur du pays on peut parcourir des milliers de kilomètres sans en trouver.

Pourtant, le budget dévoré par le ministère de la Culture, rien qu’entre 2007 et 2012, sous le patronage de l’ex-ministre Khalida Toumi, a atteint l’équivalent de 1 milliards et 600 millions de dollars US. Cette manne a surtout profité, en partie, à des pseudos éditeurs dont le nombre a subitement explosé. On est ainsi passé de 140 éditeurs, toutes spécialités confondues, dans les années 1990 à environ un millier en un rien de temps.

La lecture est vitale pour le développement d’une nation. L’exercice commence à l’école. Des études démontrent que l’apprentissage de cet art doit se faire dès la tendre enfance et avant l’âge de 12 ans. Après, il est très difficile de contraindre un adolescent à lire en dehors de ses cours. Le libraire vient en bout de chaîne pour inciter à l’amour de la lecture. S’il disparaît, ou change de vocation, c’est tout le monde merveilleux des mots imprimés sur du papier

Mohamed Badaoui

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En amont de la parution des livres, les éditeurs font un travail patient et coûteux pour mettre au monde des œuvres destiné à nourrir l’imaginaire ou à informer sur le monde qui nous entoure.

Nous avons donné la parole à deux d’entre eux pour qu’ils nous racontent les difficultés dans lesquels ils se débattent pour continuer à exercer leur métier dans un environnement de plus en plus décourageant, voire hostiles.

Entretiens réalisés par Mohamed Badaoui.

Rachid Bouzid (responsable des éditions Rafar)

« Nombreux sont les libraires qui ne paient pas l’éditeur »

Rachid Bouzid, responsable des éditions Rafar, lui déniche toujours des histoires à raconter chez des auteurs dont l’expérience humaine ou intellectuelle mérite l’écoute. Il publie des essais ou des opus de littérature et entretient une relation fusionnelle avec ses auteurs. Ces derniers temps, il s’est beaucoup intéressé à l’histoire en faisant parler ceux qui l’ont vécue.

La Nation : Où en est l’édition, la lecture surtout en temps de pandémie et ses conséquences ?  

Rachid Bouzid : Bien avant le Coivd, quelques éditeurs avaient tiré la sonnette d’alarme. Le livre ne marchait pas. C’est toute une chaîne. Du temps du ministre Azzedine Mihoubi, on s’était réuni entre éditeurs pour trouver une solution. Il y a avait eu un accord entre le ministère de la Culture et celui de l’Education. Pour encourage les enfants à lire, il fallait que toute la chaine du livre marche : de l’auteur, à l’éditeur, à l’imprimeur, au distributeur, au libraire. Il était question de pousser les écoliers à lire deux ou trois livres par ans ou par trimestre. Les choses ont ensuite trainé et puis les décisions sont restées lettres mortes. Finalement, rien ne s’est fait.

Cela ne date pas d’hier.

Absolument. Mais du temps de Khalida Toumi, tout le monde travaillait. Les uns plus que les autres mais tout le monde travaillait et le livre marchait.

 Parce qu’il y avait des subventions

Le ministère prenait mille exemplaires. Au début c’était deux mille puis ils sont descendus à  1500 pour le livre ordinaire et 1000 exemplaire pour le beau livre.

 Mais hormis les éditeurs sérieux, on a entendu dire que beaucoup de personne se sont improvisés éditeurs pour capter la manne.

Oui, le problème était là. Il y avait une grosse magouille. Sauf qu’après le départ de Khalida Toumi, et l’arrivée de Mihoubi, on n’a plus reçu de subvention. Des livres sont passés en commission mais rien. On nous appelé, il y a de cela six ou sept mois, mais pour nous dire qu’il n’y a pas d’argent.

J’ai personnellement édité quatre livres en 2020 sur fonds propre mais il n’y a pas eu de vente. Sans rencontres et sans ventes dédicace on ne peut pas écouler les ouvrages. A défaut, ce sont les amis, les cousins, les proches qui achètent les livres. L’autre gros problème, concerne la distribution qui n’existe pas en tant que telle. Au début des années 2000, le Syndicat du livre avait prévu de créer un réseau de distribution mais chacun tirait la couverture vers soi.

 Il y a combien d’éditeurs en Algérie ?

Je n’en ai aucune idée. Où sont les mille éditeurs dont on nous parle ? On ne les connait pas. C’est opaque.

 Comment vous distribuez vos livres

Personnellement, j’ai trouvé le moyen de limiter les frais en m’adressant à des transporteurs à travers mes relations. Le libraire paie le colis à la réception pour un montant de 500 dinars. C’est rien. Sauf que le problème réside dans le recouvrement. Nombreux sont les libraires qui ne paient pas l’éditeur. Alors, il faut à chaque fois se déplacer parce qu’ils ne répondent pas au téléphone. A Alger seuls quelque quatre cinq libraires s’acquittent de leur dû.

 Quelle est la part de chacune des parties prenantes de la vente d’un livre ?

Le libraire prend 30 % sur le prix de vente publique, le distributeur 20%, l’éditeur 25%.

 Et l’auteur 10%.

Oui mais, moi je ne travaille pas comme ça. Je suis un éditeur rebelle. Je travaille en étroite collaboration avec l’auteur. Quand le ministère finance, je ne donne pas 10 %. Après avoir enlevé les taxes et les charges, je partage la poire en deux. En sautant l’étape de la distribution, je gagne 20%. J’en fais profiter l’auteur.

 Beaucoup d’éditeurs bradent en ce moment leurs livres

C’est une vente promotionnelle. Certains éditeurs font du bruit sur cette opération, mais beaucoup d’autres ne voient pas le bout du tunnel. Nombreux sont ceux qui vont fermer. Personnellement, je vis de ma retraite. C’est ça qui me sauve. Malheureusement, nous sommes arrivés à la situation où les auteurs financent l’impression de leurs livres. Personnellement, je refuse ce type de demandes. J’ai mal au cœur de voir des livres stockés à la maison. Il n’y pas de vente. Si j’étais malhonnête, j’aurais empoché le prix de l’impression, gardé le stock en attendant le livre se vende tranquillement.

 Le Hirak a-t-il eu un impact sur la baisse de la vente des livres ?

 Non, cela a commencé c’était bien avant le Hirak.

 L’arrêt des subventions de l’édition était-elle due au fait que le ministère de la Culture n’avait plus d’argent ?

Non, il y avait de l’argent. C’est ça qui tue. De toute façon, faire lire des enfants, c’est important. Ça n’a pas de prix. Il faut les habituer à lire, dès l’école, au moins un livre par trimestre assorti d’une fiche de lecture.

 Quand on voit l’affluence à chaque édition du Salon international du livre, on a l’impression que tout le monde lit.

Il n’y a pas autant de vente. Beaucoup de gens considèrent l’événement comme une sortie. D’autres sont attirés par les remises.

 S’il n’y a pas de vente, pourquoi les éditeurs étrangers viennent-ils ?

C’est vrai, il y a certains livres qui se vendent.

 Comment s’organise la profession ?

Il faut trouver une solution. Les gens du livre doivent se mettre ensemble. C’est un peu n’importe quoi maintenant. Il y a déjà deux syndicats du livre et chacun tire la couverture vers soi. Le problème avait déjà commencé avec les aides du ministère de la Culture. Des étrangers à la profession se sont improvisés éditeurs pour gagner de l’argent. Ça tombait de partout.

M.B.

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